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L’Entreprise Individuelle à Responsabilité Limitée et la cessation des paiements


Rédigé par Philippe Touzet le Jeudi 10 Février 2011

L'instauration d'un patrimoine d'affectation par l'institution de l'EIRL pose des difficultés techniques sur un certain nombre de sujets, que nous avons déjà eu l'occasion d'aborder sur Parabellum. Le gouvernement vient donc de publier l’ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010 qui porte adaptation du droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de surendettement à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.



L’idée qui sous tend le mécanisme de l’Entreprise Individuelle à Responsabilité Limitée est que les créanciers professionnels de l’entrepreneur ne pourront avoir d’action que sur le patrimoine affecté à l’activité professionnelle dont ils sont créanciers, à l’exclusion des autres patrimoines.

L’instauration d’un patrimoine professionnel affecté, qui brise la théorie de l’unicité du patrimoine, constitue ainsi l’originalité de l’EIRL.

Rappelons qu’en vertu de l’article 2284 du code civil « Quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ».

Il existe, pour les engagements résultants d’une activité professionnelle, des solutions de limitation des risques, notamment la déclaration d’insaisissabilité de la résidence principale, mise en place par la loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique (art L 526-1 du code de commerce) ou bien l’adoption d’un régime de séparation de biens, toutefois, ces mesures n’ont pas été jugées suffisantes, sans compter la lourdeur du formalisme requis, pour susciter des vocations de créateurs d’entreprises.

Par ailleurs, la création d’une société demeure toujours, pour beaucoup de candidats, synonyme de complexité et de tracas, même pour une simple EURL.

La loi 2010-658 du 15 juin 2010 a donc créé l’EIRL, codifiée aux articles L 526-6 à L 526-21 du code de commerce, fondée sur la possibilité pour un entrepreneur individuel, « d’affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale ».

Si l’exercice sous forme d’EIRL implique nécessairement l’affectation d’un patrimoine attaché à une activité professionnelle (art L 526-6 C. com), il n’est pas obligatoire d’affecter tous les patrimoines professionnels.

On peut ainsi envisager le cas d’un commerçant qui décide d’exercer une nouvelle activité, pour laquelle il va affecter un patrimoine, sans procéder à une affectation de sa ou ses activités précédentes.

Il va de soi qu’une telle innovation a nécessité une adaptation des textes applicables aux procédures collectives, adaptation prévue dès l’origine, à l’article 8 de la loi, qui renvoyait à une future ordonnance.

L’ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010 porte donc adaptation du droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de surendettement à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.

Ce texte tient compte de la multiplicité des patrimoines (à compter du 1er janvier 2013 pour l’affectation de plusieurs patrimoines), chacun d’entre eux pouvant faire l’objet d’une procédure, qu’il s’agisse d’un patrimoine affecté ou non affecté. L’article L 680-1 du Code de commerce pose le principe d’une application « patrimoine par patrimoine ».

Sont donc concernées les procédures suivantes :

 Sauvegarde
 Redressement
 Liquidation

Le mandat ad hoc et la conciliation sont bien entendu ouvertes à l’EIRL.

1/ Ouverture de la procédure

La notion de cessation des paiements, qui conditionne l’ouverture d’une procédure de redressement ou liquidation judiciaire, s’apprécie donc patrimoine par patrimoine. Cette notion n’est pas modifiée par les textes mais il n’y a pas de difficultés de principe, sachant que chaque activité doit faire l’objet d’une comptabilité séparée.

L’incapacité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible sera donc appréciée activité par activité.

On mesure ici l’importance d’une séparation comptable rigoureuse des patrimoines. Il sera intéressant de vérifier si des entrepreneurs disposant de plusieurs activités procéderont à des déclarations de cessation de paiements séparées, mais le cas est possible en théorie. Cependant, au delà d’un certain seuil d’investissement, le recours à une société sera incontournable.

En revanche le fait de posséder plusieurs établissements pour une même activité ne devrait pas ouvrir la possibilité de séparer les patrimoines, car c’est l’objet qui constitue le critère essentiel d’affectation.

Plusieurs restaurants détenus par un seul entrepreneur par exemple, ne pourront en principe faire l’objet que d’une seule affectation.

Par principe, les procédures sont indépendantes et ne doivent pas interférer les unes avec les autres. C’est ce qui permet de garantir l’efficacité de l’EIRL. Les créanciers auxquels l’affectation de patrimoine est opposable n’ont d’action que sur ce patrimoine.

On peut donc concevoir, pour une même personne physique, une activité faisant l’objet d’une procédure collective, tandis que la ou les autres activités demeureraient in bonis.

En dehors des procédures collectives, l’étanchéité des patrimoines cède lorsque l’EIRL s’est rendu coupable de fraude ou de manquement grave aux règles édictées par l’article L 526-13 du code de commerce (tenue d’une comptabilité autonome, ouverture d’un compte bancaire dédié).

Cette étanchéité cède également vis à vis des créanciers sociaux et fiscaux à la suite de l’inobservation grave et répétée des obligations fiscales et sociales (art L 273-B-I LPF et L 133-4-1 CSS).

Il va de soi que, dans le cadre d’une procédure collective, la séparation des patrimoines est également relative, afin de prévenir les abus.

Le législateur a donc prévu des situations de réunion des patrimoines (2) ainsi que des sanctions classiques en matière de procédures collectives qui constituent des atteintes au cloisonnement des patrimoines (3).

2/ Réunion des patrimoines

L’article L 621-2 du code de commerce ouvre la possibilité au tribunal de commerce, d’office ou à la demande des organes de la procédure, de procéder à une réunion des patrimoines du débiteur visé par la procédure dans trois hypothèses.

 inobservation des obligations spécifiques des articles L 526-6 et L 526-13
 fraude aux droits d’un créancier
 confusion de patrimoines

(i) La première hypothèse, outre le respect des obligations comptables rappelées ci-dessus, vise les règles d’affectation du patrimoine, laquelle doit être conforme aux prescriptions de l’article L 526-6 du Code de commerce. Ne pas inclure l’ensemble des éléments d’actifs nécessaires à l’activité lors de l’affectation pourra entraîner une réunion de patrimoines, si le manquement est grave.

(ii) La réunion des patrimoines sera également encourue, d’une manière plus générale, en cas de fraude vis à vis d’un créancier titulaire d’un droit de gage sur le patrimoine visé par la procédure.

Ce cas de réunion renvoie à l’action paulienne, qui permet aux créanciers d’attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits.

(iii) Il en est de même en cas de confusion des patrimoines de l’EIRL avec celui visé par la procédure, dans une disposition qui constitue le pendant de l’extension de procédure bien connue des spécialistes des procédures collectives.

Les relations financières entre les différents patrimoines du débiteur sont visées ici. Dès lors que celles-ci seront qualifiées d’anormales, il y aura, selon une jurisprudence bien établie, risque de réunion des patrimoines.

Dans ces différentes hypothèses, il n’y a plus aucun cloisonnement et la procédure s’étend à tous les patrimoines concernés.

3/ Atteintes au cloisonnement des patrimoines

Il n’existe pas, stricto sensu, d’abus de bien social en matière d’EIRL, puisqu’il n’y a pas de personne morale. En revanche, les mouvements entre patrimoines étant possibles à tout moment, mouvements de trésorerie ou d’autres éléments d’actif, il était important de sanctionner les cas d’abus, par voie de conséquence nous retrouvons des sanctions similaires à celles existant dans les procédures visant les personnes morales.

(i) Faillite personnelle

L’ordonnance en institue un cas de faillite personnelle lorsque l’entrepreneur a disposé des biens du patrimoine visé par la procédure comme s’ils étaient compris dans un autre patrimoine (art L 653-3 II C. com).

Cette sanction pourrait s’avérer dangereuse pour les EIRL. En effet, à la lecture de ce texte, l’utilisation d’un véhicule affecté pour des besoins privés par exemple, pourrait aboutir à une faillite personnelle. De même que l’utilisation du compte bancaire affecté pour régler des dépenses personnelles.

On retrouve en fait ici les éléments caractéristiques d’un abus de bien social.

Ceci est confirmé par l’article L 653-3 II 3° du code de commerce qui étend la faillite personnelle aux hypothèses dans lesquelles l’entrepreneur individuel « A fait des biens ou du crédit de l'entreprise visée par la procédure un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ».

Ce texte est le miroir de l’article L 241-3 qui vise les gérants de SARL.

Curieusement, le texte vise ici l’entreprise et non pas le patrimoine affecté.

(ii) Nullités de la période suspecte

Dans le même ordre d’idée, toutes les affectations ou modifications d’affectations effectuées pendant la période suspecte sont nulles, lorsqu’elles aboutissent à un appauvrissement du patrimoine objet de la procédure au bénéfice d’un autre patrimoine de l’EIRL (art L 632-1, 11°).

Cette nullité s’ajoute aux autres causes de nullité d’actes réalisés pendant la période suspecte.

Ces modifications d’affectation visent notamment le cas ou l’entrepreneur souhaite modifier l’objet de son activité ce qui implique une modification du contenu de l’affectation patrimoniale. Une telle modification d’objet pourrait impliquer un retrait de certains éléments d’actif.

Elle sera nulle si elle intervient pendant la période suspecte.

Par ailleurs, l’article L 526-14 du code de commerce précise que « à compter de leur dépôt, les comptes annuels valent actualisation de la composition et de la valeur du patrimoine affecté. »

On doit comprendre qu’une cession à un tiers d’un élément d’actif faisant partie du patrimoine affecté et qui se traduirait par une moins-value ou une perte apparaissant dans les comptes annuels déposés serait nulle si elle est réalisée pendant la période suspecte.

Il est possible, en sens inverse, de créer ou d’accroitre un patrimoine affecté, en apportant un bien qui faisait partie d’un autre patrimoine de l’entrepreneur. Là aussi il y aura nullité si le patrimoine « apporteur », objet du redressement, est appauvri.

La nullité de la période suspecte ne concerne toutefois pas les revenus que l’EIRL se verse et qui nécessairement sortent du patrimoine affecté pour entrer dans le patrimoine personnel.

(iii) Faute de gestion

On pouvait se demander ce qu’il advenait en cas de faute de gestion de l’EIRL. L’ordonnance dans cette hypothèse a prévu, fort logiquement, que l’entrepreneur devrait supporter l’insuffisance d’actif (C. com art L 651-2), sur son patrimoine non affecté.

On le voit, la protection constituée par l’EIRL pourrait n’être que toute relative si les entrepreneurs n’établissent pas un cloisonnement rigoureux, aussi bien au niveau des comptes bancaires et moyens de paiement, que de l’utilisation des autres éléments affectés.

Toute insuffisance d’actif pourra facilement donner lieu à poursuite sur le patrimoine personnel sur la base de ces textes.

A noter toutefois une disposition favorable à l’entrepreneur individuel, par opposition à l’entrepreneur titulaire d’un seul patrimoine, qui consacre la possibilité pour l’entrepreneur individuel de continuer une activité, autre que celle au titre de laquelle une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte (art L 641-9 III C. com).

Une restriction cependant : cette activité doit être exercée au jour de l’ouverture de la procédure, autrement dit elle doit être préexistante.

4/ Procédure de surendettement

On sait qu’un commerçant ne peut bénéficier d’une procédure de surendettement.

La cour de cassation a confirmé, en application des dispositions de l’article L 333-3 du code de la consommation, que les dispositions relatives au règlement des situations prévues par la loi sur le surendettement ne s’appliquent pas lorsque le débiteur relève des procédures de redressement ou de liquidation judiciaire des entreprises, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon la nature des dettes impayées (Cass 1ère civ 19 nov 1991, n° 91-04.007).

Cette position est logique dans le contexte d’un patrimoine unique afin d’éviter les confusions de procédures. Elle ne se justifie plus en présence d’une personne physique disposant de plusieurs patrimoines.

Le code de la consommation a donc été modifié afin de permettre à l’entrepreneur individuel de bénéficier, pour la partie du patrimoine non affectée à une activité professionnelle, d’une procédure de surendettement (art L 333-7 C. consom).

On pourra donc voir des situations de coexistence de deux procédures, une procédure collective pour le patrimoine affecté à une activité professionnelle et une procédure de surendettement pour le patrimoine personnel.

Une information de la commission de surendettement est prévue afin de coordonner les procédures.








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