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L’assujettissement des dividendes aux cotisations sociales : une mesure contestable et discriminatoire de la Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008


Rédigé par Philippe Touzet le Vendredi 13 Mars 2009

La Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale soumet aux cotisations sociales les dividendes distribués par les sociétés d’exercice libéral et seulement les sociétés d’exercice libéral.



1. Exposé du nouveau régime de la taxation des dividendes

L’article L131-6 du code de la sécurité sociale, modifié par la LOI n°2008-1330 du 17 décembre 2008 - art. 22 (V) prévoit désormais en son troisième alinéa :

[3ème alinéa nouveau] « Pour les sociétés d'exercice libéral visées à l'article 1er de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, est également prise en compte, dans les conditions prévues au deuxième alinéa, la part des revenus mentionnés aux articles 108 à 115 du code général des impôts perçus par le travailleur non salarié non agricole, son conjoint ou le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou leurs enfants mineurs non émancipés et des revenus visés au 4° de l'article 124 du même code qui est supérieure à 10 % du capital social et des primes d'émission et des sommes versées en compte courant détenus en toute propriété ou en usufruit par ces mêmes personnes. Un décret en Conseil d'Etat précise la nature des apports retenus pour la détermination du capital social au sens du présent alinéa ainsi que les modalités de prise en compte des sommes versées en compte courant.

Sont donc désormais dues, sur la partie des dividendes excédant 10% du capital social, des primes d’émission et des sommes versées en compte courant, les cotisations sociales de retraite, d’allocations familiales, et de sécurité sociale.

Le texte est applicable aux seules SEL, et à l’intérieur de cette catégorie, aux seuls associés ayant le statut de travailleurs non salariés, ce qui recouvre non seulement les gérants majoritaires des SELARL, mais également les associés de SEL qui cotisent au régime des TNS.

Précisons qu’il ne sera guère possible de jouer avec le compte courant de la société pour augmenter le montant de ces capitaux de référence, au moment de la distribution.

Tout d’abord, le décret prévu au 3ème alinéa in fine précisera les conditions auxquelles les apports en compte courant seront retenus (date des versements etc) et ce que l’on doit entendre par prime d’émission. On rappellera ensuite que dans une SEL, le montant des apports en compte courant est limitée à trois fois leur participation en capital, pour les associés exerçants, et une fois pour les non exerçants, par l’article 1er du décret n° 92-704 du 23 juillet 1992 modifié .

2. Le constat d’une triple discrimination et d’oublis majeurs dans le nouveau régime

Selon le vœu du législateur, il existe donc désormais deux régimes, l’un pour les libéraux, l’autre pour les sociétés de droit commun, réputées exercer une activité « industrielle et commerciale ».

Ce faisant, le législateur a fait preuve d’une extraordinaire imprévoyance et instaure ainsi des règles fortement discriminatoires, à notre détriment.


2.1. Discrimination entre « libéraux » et non libéraux

On a vu que selon M. Fouquet, les SARL de droit commun doivent recevoir un traitement différent, au motif d’un environnement économique distinct.

Ce postulat n’est appuyé sur aucune donnée sérieuse et est totalement erroné : les SARL de droit commun sont très loin d’être toutes « industrielle ou commerciale », avec de forts besoins d’investissements.

De très nombreuses d’entre elles ont un modèle économique exactement similaires au nôtre : il s’agit de toutes les sociétés commerciales qui délivrent une prestation intellectuelle. Dans une économie fortement « tertiarisée », elles constituent une part très importante du tissu économique. On citera, sans vouloir être exhaustif :

- les sociétés fondées par des consultants en tout genre,
- les sociétés de conseil en informatique,
- les sociétés des conseils en propriété industrielle,
- les agences de publicité, etc.

Toutes ces sociétés fonctionnent dans un environnement économique similaire. Nombre d’entre elles ont des principes de management similaires à celui des libéraux, avec plusieurs associés exploitants (CPI, agence de publicité, consultants).

On se demande alors pourquoi, sur quel critère sérieux, ces professionnels peuvent se distribuer des dividendes en franchise de charges sociales, alors que les libéraux se le voit interdire.

Par ailleurs, en dehors des consultants, quelle est la différence, au niveau de l’investissement, entre l’avocat qui acquiert un fonds libéral et investit donc pour s’installer, et un commerçant qui acquiert un fonds de commerce ?

Rien ne permet de justifier cette différence de traitement, si n’est d’avoir voulu satisfaire nos caisses de retraite. A moins qu’on en veuille aux libéraux, qui, mieux armés sur le plan intellectuel que de « simples commerçants », ont su mieux utiliser le droit fiscal et le droit des sociétés.

En tous cas, la discrimination est patente.


2.2. Discrimination entre professions libérales

Très loin des industriels et des commerçants, existent des professionnels libéraux qui peuvent depuis toujours utiliser les sociétés à forme commerciale et n’ont pas attendu la loi de 1990 pour former de telles sociétés. Il s’agit notamment :

- des experts comptables,
- des pharmaciens.

Ces deux professions n’utilisent que très rarement la SEL ; ils n’en ont pas besoin. Les experts comptables, à la connaissance du rapporteur, ne l‘utilisent jamais.

Dès lors, dans ces deux professions, les gérants majoritaires, exerçant dans une SARL de droit commun ne sont pas concernés par l’article L 131-6 modifié.

De nouveau ici, la discrimination est patente et doit être dénoncée et combattue.


2.3. Discrimination entre formes sociales

On rappellera tout d’abord que le nouvel article L.131-6 assujettit les dividendes versés aux seuls travailleurs non salariés, c'est-à-dire en pratique aux gérants majoritaires de SEL :

« Pour les sociétés d'exercice libéral …, est également prise en compte …la part des revenus mentionnés …perçus par le travailleur non salarié non agricole »

Ainsi, le dirigeant de SELAS (qui peut être unipersonnelle) ou de SELAFA, soumis au régime général pour ses rémunérations, pourra se verser des dividendes en franchise de charges sociales.

Nul doute pourtant qu’il exerce dans un environnement économique absolument identique à celui de son confrère exerçant en SELARL !

La nouvelle législation aura donc pour effet immédiat d’interdire à la CNBF de taxer les dividendes de ces sociétés, alors qu’elle les taxait jusqu’à ce jour.

On peut douter qu’elle se satisfasse de cette situation, ce qui créera un nouveau risque de contentieux.

2.4. Des oublis majeurs dans le nouveau régime

Le nouveau régime est en outre lacunaire. Il ne prévoit pas :

2.4.1. Les conditions de déductibilité des cotisations payées sur les dividendes :

En principe, les cotisations sociales, hors la CSG RDS, sont déductibles du revenu fiscal et social puisque le revenu BNC ou le résultat de la SEL est établi après déduction de ces charges.

Or, le dividende étant par hypothèse distribué sur des résultats nets après IS, comment ces charges pourront elles être déduites du résultat soit de l’exercice considéré, soit de l’exercice suivant ?

On observera d’ailleurs que ces charges sociales seront payées par le travailleur non salarié (associé gérant) sur son compte personnel, après qu’il ait reçu les dividendes versés, et que la déduction est de ce fait rendue assez peu évidente.

La loi ne prévoit rien à ce titre. Les débats et les rapports étudiés n’ont pas abordé cette question.

2.42. L’exonération des associés non exerçants dans la SEL considérée

L’un des critères de distinction, pour M. Fouquet, entre les « SARL de droit commun » et les SEL, est que ces dernières n’auraient pas d’investisseurs extérieurs.

Cela est totalement faux :

- d’une part, de très nombreuses SARL de droit commun n’ont pas d’investisseur distinct des animateurs de la sociétés : il s’agit évidemment des EURL, mais encore des sociétés commerciales ayant plusieurs associés tous gérants ;

- d’autre part, les SEL peuvent évidemment comporter des associés non exerçants .

Il peut donc exister des situations de détentions du capital, notamment par des avocats exerçant dans une autre structure, mais sans exercer dans la SEL considérée du fait de l’unicité d’exercice. Ils agissent bien comme des investisseurs et la seule rémunération qu’ils peuvent attendre des capitaux investis est un dividende.

Or, à condition qu’ils soient par ailleurs eux-mêmes des travailleurs non salariés, la nouvelle formulation de l’article L. 131-6 risque fort d’entraîner la taxation des dividendes des associés non exerçants, ce qui constituerait une monstruosité juridique.

En effet, le texte ne fait aucune distinction et aucun des rapports ou débats n’a abordé la question pour l’exclure clairement, puisque la situation était niée.

Dès lors que le texte prévoit l’assujettissement « de la part des revenus mentionnés aux articles 108 à 115 du code général des impôts perçus par le travailleur non salarié », rien n’interdit aux organismes sociaux et notamment aux caisses de retraite, qui adoptent une attitude impérialiste sur cette question, de taxer les dividendes perçus par un avocat alors qu’il est simple investisseur (« sleeping partner ») dans un autre cabinet.


2.4.3. aucune mesure pour éviter la double taxation

Il résulte de ce texte une possibilité de double taxation des dividendes à la CSG/CRDS, une première fois au titre des revenus d’activité, et une seconde fois au titre des revenus du patrimoine.

Lors des débats, a été discuté la possibilité d’insérer un abattement de 40% sur l’assiette de la taxe (c’est à dire sur le montant des dividendes), comme il en existe un en matière fiscale . Cette idée était suggérée par M. Fouquet mais a été écarté par M. Bertrand : « ce dispositif d’avoir n’existe pas en matière sociale. Après analyse, nous avons considéré qu’il n’y avait pas lieu d’inaugurer un mécanisme d’avoir social. En effet, nous ne saurions pas très bien jusqu’où il pourrait aller… »

En conclusion, le texte lacunaire, et discriminatoire, nourrira certainement de nouveaux contentieux.
 









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