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Constat 145 et « secret des affaires » : la présence du bâtonnier n’est pas obligatoire


Rédigé par Philippe Touzet le Mardi 27 Décembre 2022

À l’occasion de la même décision, ayant constaté la confidentialité des échanges dans la conciliation menée devant le bâtonnier, une autre question, pour laquelle il existe singulièrement peu de sources, était tranchée : celle de la présence du bâtonnier lors des opérations de constat. La règle est désormais clarifiée : la présence du bâtonnier n’est pas requise.



Un avocat prétendait, dans le cadre d’une instance en rétractation d’un constat réalisé sur le fondement de secret des affaires, que la mesure autorisée par le juge ne serait pas légalement admise dans la mesure où l’ordonnance ne prévoyait pas la présence du Bâtonnier ou de son délégué.
 
Or, aucun texte, plus généralement, aucune norme, n’exige la présence du Bâtonnier dans le cadre de l’exécution d’une mesure de constat sur requête, ou de saisie civile, menée par un huissier, au domicile ou au cabinet d’un avocat.
 
La cour d’appel de Paris (Paris 8ème chambre, 16 janvier 2003)  avait tranché le point, mais seulement en ce qui concerne les saisies réalisées chez un avocat : « il n’est nullement obligatoire que l’huissier instrumentaire soit accompagné d’un membre du conseil de l’ordre pour pouvoir opérer une saisie chez un avocat.»
 
La Cour de cassation (Cass., civ 1ère, 3 novembre 2016, pourvoi n°15-20.495) avait jugé en outre que le secret professionnel n’est pas un obstacle à des telles mesures d’ordre civil, qui sont par principe parfaitement licites : « le secret des affaires et le secret professionnel ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile et […] la seule réserve à la communication des documents séquestrés tient au respect du secret des correspondances entre avocats ou entre un avocat et son client édicté par l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, »
 
Le demandeur à la rétractation tentait d’obtenir ladite rétractation de la mesure ordonnée en se fondant sur deux textes : l’article 56-1 du Code de procédure pénale, d’une part, et l’article 2.2, dernier alinéa, du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat (RIN).
 
En premier lieu, l’article 56-1 du Code de procédure pénale régit en effet les perquisitions et visites domiciliaires, c’est-à-dire les opérations menées à des fins de sanctions pénales ou civiles à la demande d’une autorité investie d’un pouvoir de poursuites. Ces dispositions ne sont pas applicables à l’évidence aux mesures autorisées par le Président du Tribunal Judiciaire sur le fondement d’une action civile, ne serait-ce que parce qu’elles prévoient que les mesures doivent être effectuées par le magistrat lui-même.
 
C’est d’ailleurs ce qu’a expressément retenu la Cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 19 avril 2016, RG n° 15/05235)  :« Les dispositions de l’article 56-1 du Code de procédure pénale sont à l’évidence inapplicables à la mesure autorisée par le Président du tribunal de grande instance qui n’a donné son autorisation que dans le cadre de celles du Code de procédure civile […] »
 
Le demandeur s’appuyait cependant notamment sur le dernier alinéa de l‘article 56-1, qui dispose : « Les dispositions du présent article sont également applicables aux perquisitions ou visites domiciliaires effectuées, sur le fondement d'autres codes ou de lois spéciales, dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ou dans les locaux mentionnés à l'avant-dernier alinéa. »
 
Il s’agissait d’une interprétation très extensive de ce texte, qui s’appuyait sur l’ajout effectué par la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice « relatives à l’enquête et à l’instruction », et qui vise en effet les « perquisitions » et les « visites domiciliaires » effectuées sur le fondement « d'autres codes ou de lois spéciales ». Cette notion, quelque peu floue, permettait au demandeur de soutenir l’application de ce texte du Code de procédure pénale à une mesure régie par le Code de procédure civile.
 
La circulaire d’application de la loi (CIRC CRIM/2019-8/H3/ 05.04.2019) démontrait cependant indiscutablement le caractère erroné de cette position, notamment en ce qu’elle prévoit que les garanties accordées par ce régime s’appliquent lorsque la perquisition ou la vie domiciliaire est réalisée par un magistrat.
 
En second lieu, l’article 2.2 du RIN prévoit en effet, selon une formulation qui peut apparaître excessivement générale, que : « aucune consultation ou saisie de documents ne peut être pratiquée au cabinet ou au domicile de l’avocat, sauf dans les conditions de l’article 56-1 du code de procédure pénale. »
 
Malgré cette formulation, il ne peut certainement pas être considéré que l’article 2.2 du RIN, adopté par une délibération du Conseil National des Barreaux, peut s’interpréter comme un texte de portée générale, qui aurait pour effet d’interdire toute mesure de saisie ou de constat au domicile ou au cabinet d’un avocat ne s’inscrivant pas dans les conditions de l’article 56-1 précité. Il s’agit d’un texte infra-législatif et infra règlementaire, conformément aux dispositions de l’article 21-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, qui précise : « Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, le CNB unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d'avocat ».
 
L’article 2.2 peut être considérés comme le pendant, dans le RIN, de l’article 56-1 du CPP et a vocation à s’appliquer aux mêmes opérations, perquisitions et visites domiciliaires pratiquées par une autorité indépendante et afin de poursuites. Ce texte , qui précise la mise en œuvre des dispositions de l’article 56-1, ne peut élargir sa portée, de la même manière qu’il ne peut en aucun cas contredire les dispositions prévues par un texte de valeur législative, en l’espèce l’article L.152-4 du Code de commerce sur lequel est fondé la mesure.
 
La Cour de Cassation dans un arrêt du 5 juillet 2017 (C. Cass. civ. 1ère, 5 juillet 2017, 16-19.825) n’a d’ailleurs pas souhaité lui donner une telle portée, puisqu’elle n’a pas retenu le moyen tiré de l’application de cet article pour invalider une mesure ordonnée sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.
 
Enfin, l’Ordre des avocats de Paris lui-même, dans sa doctrine professionnelle, indique clairement que les dispositions prévoyant la présence du Bâtonnier ne concernent que les perquisitions pénales ou les visites domiciliaires des autorités administratives dotées de pouvoirs d’enquête coercitifs telle que l’administration fiscale, les douanes, l’AMF, la DGCCRF, et l’Autorité de la Concurrence, en ajoutant le commentaire suivant : Il conviendrait d’étendre cette solution aux dispositions de l’article 145 du code de procédure civile. » (Flash info du Bulletin du Barreau de Paris « Présence du Bâtonnier » de mars 2019)
 
Sur les deux textes, l’ordonnance commentée en écarte très clairement l’application :
 
« si le conseil national des barreaux peut le cas échéant imposer à l’ensemble des barreaux une règle…, il ne peut légalement fixer des prescriptions nouvelles qui mettent en cause la liberté d’exercice de la profession d’avocat ou les règles essentielles qui la régissent et qui n’aurait aucun fondement dans les règles législatives ou dans celle fixée par les décrets en conseil d’État…
 
« La mesure a consisté en un accès au domicile personnel de l’avocat, à ses équipements informatiques et à une saisie de fichiers informatiques… aujourd’hui séquestrés. Par l’identification d’éléments précis… désignés par la requête et l’ordonnance qui y renvoie, les mesures en cause ne sont pas qualifiées de perquisitions ou visites domiciliaires au sens de l’article 56-1 du Code de procédure pénale, dispositions qui ne sont pas applicables mesures ordonnées sur le fondement des articles L.152-4 et R.152-1 du Code de commerce.
 
« L’article 2.2 précité du règlement intérieur national … doit trouver son fondement, ainsi qu’il précède, dans les règles législatives ou dans celles fixées par les décrets en conseil d’État prévu par l’article 53 de la loi du 31 décembre 1971 ou dans une conséquence nécessaire d’une règle figurant au nombre des traditions de la profession.
 
« L’article 2.2 précités ne peut toutefois ajouter aux lois et règlements, ni les contredire, lorsqu’il n’impose pas la présence du bâtonnier lors de mesures semblables à celle en litiges. Le moyen tiré de la méconnaissance de l’article précité du règlement intérieur national en l’absence de l’intervention du bâtonnier de l’ordre des avocats lors des opérations de huissier est donc écarté. »

 
Cette affaire est une bonne illustration de la possibilité, dans tout contentieux, de tirer argument des sujets non précédemment tranchés. Même si ils apparaissent à l’évidence non fondés, le jeu judiciaire entraîne l’obligation d’en débattre en profondeur, pour éviter tout risque,  qui en l’espèce étaient majeurs, puisqu’il pouvait entraîner l’annulation des mesures de saisie. La clarification intervenue est salutaire, et on insistera sur le caractère inédit de la solution, applicable en matière de constat « secret des affaires » , et à n’en pas douter, également en matière de constat de l’article 145 du code de procédure civile.
 
 
 








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