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Quel pouvoir du juge des référés dans le contexte d’une assemblée générale de société commerciale ?


Rédigé par Justine Touzet le Jeudi 2 Décembre 2021

Nous revenons sur un intéressant arrêt du 13 janvier 2021 de la Cour de cassation rappelant les possibilités ouvertes au juge des référés face à l'irrégularité d'une assemblée générale.



Au visa l’article 873 du Code de procédure civile, le juge des référés avait déjà retenu, assez classiquement (même si les arrêts ne sont pas nombreux), la possibilité d’ajourner la tenue d’une assemblée générale.
 
Mais normalement, l’ajournement n’était accordé que lorsqu’il était constaté une irrégularité créant un risque important que l’assemblée litigieuse soit annulée. Par exemple, le juge des référés a ajourné une assemblée convoquée en violation flagrante des règles de convocation[[1]], des règles relatives à l’information des actionnaires[[2]] ou une assemblée qui reposait sur une cession d’actions qui faisait l’objet d’une contestation sérieuse[[3]]. En revanche, lorsque le litige en cause n’était pas susceptible d'entraîner l'annulation de l'assemblée, l'ajournement était refusé[[4]].
 
Or, dans l’arrêt du 13 février 2021, la Cour de cassation approuve le report d’une assemblée alors qu’aucune irrégularité faisant peser le risque d’une annulation n’avait été constatée, comme le soutenaient les auteurs du pourvoi.
 
En effet, en l’espèce, la Cour d’appel avait accepté de reporter une assemblée générale dont l’ordre du jour était la révocation du président de la société et son remplacement par un nouveau président. Elle a estimé qu’une telle nomination serait contraire à la mission de l’administrateur provisoire qui avait été nommé entre-temps et pour une durée de trois mois afin de diriger les sociétés du groupe et négocier avec les banquiers une restructuration des dettes.
 
La Cour de cassation l’a approuvé en jugeant que : « De ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui ne s’est pas prononcée sur l’opportunité de modifier la présidence de la société au regard de l’intérêt social, a pu déduire que la seule tenue de cette assemblée générale pendant que la société AJ Partenaires accomplissait sa mission était, par elle-même, de nature à causer à la société PMC développement un dommage imminent, qu’il convenait de prévenir en ordonnant le report de l’assemblée générale ».
 
Les éclairages apportés par l’arrêt commenté ne s’arrêtent cependant pas là.
 
En effet, les actionnaires majoritaires ont ensuite convoqué une seconde assemblée avec pour ordre du jour la modification de la rémunération du président. Pendant cette assemblée, les actionnaires majoritaires ont modifié l’ordre du jour et mis au vote la révocation avec effet immédiat du président et la nomination, elle aussi à effet immédiat, du nouveau président de la société, en parfaite violation avec les termes de la première ordonnance de référé.
 
Cette assemblée a été annulée par le juge des référés. Cette ordonnance a été confirmée en appel aux motifs que la « violation délibérée » de la première ordonnance de référé constituait « un trouble manifestement illicite » et que « la seule mesure permettant de faire cesser ce trouble est d’annuler les délibérations qui en ont découlé et au terme desquelles ces résolutions ont été adoptées ».
 
La Cour de cassation a cassé cet arrêt en considérant que « l’annulation des délibérations de l’assemblée générale d’une société, qui n’est ni une mesure conservatoire, ni une mesure de remise en état, n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés » et ce, bien qu’il s’agissait de « faire cesser un trouble manifestement illicite ».
 
Malgré tout, la Cour de cassation conclut en suggérant à la Cour de renvoi que si le juge des référés ne pouvait pas annuler l’assemblée, il pouvait néanmoins en suspendre les effets : « alors qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés […] d’annuler les délibérations de l’assemblée générale d’une société, la cour d’appel, qui pouvait en revanche en suspendre les effets, a violé les textes susvisés ».
 
La Cour semble ainsi bien déterminée à ne pas laisser impunie la « violation délibérée » de l’ordonnance de référé ayant suspendu l’assemblée générale de révocation.

 
Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 13 janvier 2021, 18-25.713 18-25.730, Publié au bulletin - Légifrance (legifrance.gouv.fr)


[[1]] T. com. Toulouse, 12 août 1993, Fontalirant c/ SA Sylvert.
[[2]] Cour d'appel, PARIS, Chambre 1 section A, 14 Juin 1988
[[3]] CA Paris,  sept. 2000, no 2000/12709, SA Parfond et autres c/ SCI Bielle et autres.
[[4]] Cass. com., 19 mai 1987, n° 84-17.401.








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