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L’extension des pouvoirs juridictionnels du juge de la mise en état


Rédigé par Matthieu Seretti le Vendredi 10 Janvier 2020

Le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 met en œuvre plusieurs dispositions de la loi n°2019-222 dite « de réforme pour la justice », notamment concernant la mise en état judiciaire. S’agissant plus précisément de cette question, le décret élargit les pouvoirs juridictionnels du Juge de la Mise en Etat (JME) en lui octroyant la compétence exclusive pour connaître des fins de non-recevoir. Ce décret poursuit donc le mouvement d’élargissement des prérogatives du JME, initié depuis son introduction dans le système judiciaire français.



 
  1. Une tendance historique d’accroissement des pouvoirs juridictionnels du JME
 
Depuis son institution par le décret n°65-872 du 13 octobre 1965[[1]] , le JME n’a eu de cesse de voir ses pouvoirs s’accroître, passant de simple subordonné de la formation de jugement, à véritable juridiction autonome chargée de l’instruction des affaires complexes.
 
C’est tout d’abord le nouveau Code de procédure civile qui a amorcé cette évolution en lui accordant une compétence exclusive pour traiter des exceptions dilatoires et des nullités pour vice de forme. Cette compétence a ensuite été étendue aux exceptions de procédure présentées par les parties par le décret n°98-1231 du 28 décembre 1998.
 
Le décret n°2004-836 du 20 août 2004 a marqué une nouvelle étape dans ce mouvement de fond, en faisant du JME, entre sa désignation et jusqu’à son dessaisissement, le seul juge compétent  « à l’exclusion de toute autre formation du tribunal » pour statuer non seulement sur les exceptions de procédure mais également sur les incidents mettant fin à l’instance (cf. article 771 ancien du Code de procédure civile).
 
Enfin, le décret n°2005-1678 du 28 décembre 2005 a concrétisé son statut de juridiction autonome en conférant l’autorité de chose jugée aux ordonnances par lesquelles il statue sur les exceptions de procédure et sur les incidents mettant fin à l’instance (cf. article 775 ancien du Code de procédure civile). Dans cette même optique, ce décret lui a accordé le pouvoir d’homologuer l’accord soumis par les parties et même de statuer sur les demandes formées en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
 
Cet accroissement continu des pouvoirs juridictionnels du JME a eu pour objet de faciliter l’exécution de sa mission principale, à savoir purger toute affaire complexe de son contentieux accessoire.

  
  1. Le décret du 11 décembre 2019 s’inscrit dans cette tendance historique d’extension des pouvoirs juridictionnels du JME.
 
La principale innovation de ce texte est l’extension de sa compétence juridictionnelle au traitement des fins de non-recevoir (prescription, autorité de chose jugée, intérêt à agir notamment).
 
En ce sens, le nouvel article 789 du Code de procédure civile énonce que le JME est seul compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir. L’objectif sous-tendant cette extension de compétence est d’éviter le prolongement inutile d’affaires susceptibles de prendre fin pour cause d’irrecevabilité.
 
Cette extension du pouvoir du JME entraîne toutefois une nouvelle difficulté.
 
En effet, l’appréciation d’une fin de non-recevoir nécessite parfois de trancher au préalable une problématique de fond.
 
Or le JME n’est pas sensé apprécier le fond d’une affaire.
 
Le décret n°2019-1333 règle cette difficulté de la manière suivante :
 
« Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s'y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l'instruction, pour qu'elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s'il l'estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d'administration judiciaire.
 
Le juge de la mise en état ou la formation de jugement statuent sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l'ordonnance ou du jugement. La formation de jugement statue sur la fin de non-recevoir même si elle n'estime pas nécessaire de statuer au préalable sur la question de fond. Le cas échéant, elle renvoie l'affaire devant le juge de la mise en état. » (cf. article 789 nouveau du Code de procédure civile)
 
Le décret précise par ailleurs que les ordonnances du JME statuant sur les fins de non-recevoir ont autorité de chose jugée (cf. article 794 nouveau du Code de procédure civile).
 
La conséquence directe de cette disposition est que les parties ne sont plus recevables à soulever les fins de non-recevoir au cours de la même instance, à moins qu’elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du JME. Concrètement, les parties seront désormais soumises à un principe de concentration des fins de non-recevoir devant le JME[[2]].
 
Enfin, cette disposition a pour conséquence indirecte d’entraîner un possible empiètement du JME sur les prérogatives de la formation de jugement. Ainsi, dans les cas où le JME tranchera une question de fond pour statuer sur une fin de non-recevoir, la formation de jugement ne pourra revenir ultérieurement sur la solution adoptée par ce dernier.
 
Du fait même de cette extension de pouvoir, le JME est maintenant susceptible d’acquérir une autorité inédite sur le fond du litige. Il est donc à prévoir que le contentieux devant le JME acquière davantage d’importance suite à cette évolution.
 
 
[[1]] Introduction dans un premier temps expérimentale (restreinte à 5 Cour d’appel et 29 TGI), qui sera confirmée et généralisée par le décret n°71-740 du 9 septembre 1971
[[2]] Comme elles pouvaient déjà l’être devant le conseiller de la mise en état (Civ. 2ème 13 novembre 2014 n°13-15.642)



Décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019
Loi n°2019-222








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