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La Cour de cassation réaffirme le devoir de conseil et de mise en garde de l’avocat rédacteur d’acte


Rédigé par Tommaso Cigaina le Lundi 29 Novembre 2021

Par un arrêt du 10 novembre 2021, la Cour de cassation rappelle que l’avocat rédacteur est tenu d’alerter expressément les parties des risques inhérents à l’opération, sans que les stipulations claires de l’acte puissent l’en exempter. Il appartient au juge saisi d’une action en responsabilité civile de vérifier si l’avocat a effectivement rempli cette obligation.



L’une des missions principales de l’avocat est celle de conseiller et d’assurer la défense des intérêts de ses clients lorsqu’ils entendent négocier un contrat, ou toute autre opération juridique.

Tout naturellement, cette mission inclut la rédaction des actes nécessaires à la réalisation de l’opération envisagée. A cet égard, s’il est habituel que chaque partie mandate son propre avocat, il n’est pas rare que ce dernier intervienne aux côtés de l’ensemble des parties à l’opération. Il est également possible que l’avocat intervienne en tant que conseil d’une seule des parties, l’autre n’étant pas assistée.

En conséquence, deux questions essentielles se posent au regard du rôle de l’avocat, et donc de l’éventuelle mise en cause de sa responsabilité civile professionnelle.

D’une part, quelle est l’étendue de ses obligations en matière de conseil lorsque le client lui confie la rédaction d’un acte juridique ?

D’autre part, comment le rôle de conseil doit être aménagé lorsque l’autre partie à l’opération n’est pas elle-même assistée et que l’avocat rédige seul l’acte juridique, alors que les intérêts des parties sont fréquemment divergents.

Si le rôle et les obligations de l’avocat rédacteur sont encadrés par l’article 9 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005, repris et précisé par l’article 7 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat, la jurisprudence a apporté des précisions à ce régime qui s’avère particulièrement contraignant pour l’avocat et très protecteur pour les parties à l’opération.

L’arrêt objet du présent commentaire (Cass. civ. 1ère du 10 nov. 2021 n°20-12.235) s’inscrit dans cette tendance.

Il convient de rappeler, avant d’aborder le sujet au cœur de cet arrêt, que le premier alinéa de l’article 9 du décret précité dispose que l'avocat rédacteur doit assurer la validité et la pleine efficacité de l'acte selon les prévisions des parties. Et, sauf s’il en a été déchargé, il est tenu de procéder aux formalités légales ou réglementaires requises par l'acte qu'il rédige et de demander le versement préalable des fonds nécessaires.

Le deuxième alinéa de cette disposition ajoute que, lorsque il est rédacteur unique, l’avocat doit veiller à l’équilibre des intérêts des parties.

La première obligation, qui relève du devoir de compétence de l’avocat, est classiquement considérée comme une obligation de résultat (CA Paris, 26 juin 2014 n°13/13469).

Concernant la deuxième, il ressort de la jurisprudence que l’avocat rédacteur est tenu d’une obligation de conseil renforcée tant à l’égard de son propre client que des autres parties à la convention, lorsque celles-ci ne sont pas assistées par un autre professionnel.

Précisons, à cet égard, que la jurisprudence considère que la simple intervention d’un autre professionnel aux côtés de l’avocat – par exemple un expert-comptable, qui se bornerait à communiquer des éléments comptables sans intervenir dans la négociation et l’élaboration de l’acte – n’a pas d’incidence sur le statut de rédacteur unique (CA Rennes 6 oct. 2015 n°13/01244 ; CA Douai 10 oct. 2013 n°15/06274). Dans cette hypothèse, l’avocat rédacteur n’est donc pas dispensé de son obligation de conseil à l’égard de toutes les parties (CA Dijon 22 janv. 2019 n°17/00131).

En effet, en plus d’avoir à s’assurer que l’acte est équilibré, le rédacteur d’acte a le devoir de « prendre l’initiative » de conseiller les parties « sur la portée et les incidences » des engagements qu’elle sont en train de souscrire, et ce « peu important que son concours ait été sollicité par l’une d’elles » (Cass. civ. 1ère, 25 fév. 2010, n°09-11.591). Ainsi, il est jugé que « lorsque l’avocat est rédacteur et conseiller unique de toutes les parties, son rôle est nécessairement distinct des exercices habituels d’assistance partiale au profit d’un client. Il est dès lors tenu à une stricte objectivité à l’égard des parties » et il doit « aviser chaque partie de ses droits et obligations, mettre celles-ci en garde si nécessaire » (CA Paris, 26 juin 2014, n°13/13469). L’avocat est tenu à ce devoir d’information « même lorsque les clients ne l’ont pas interrogé expressément à ce sujet » (CA Paris, 14 fév. 2012 n°10/18786).

L’arrêt objet du présent commentaire confirme cette jurisprudence et, par un attendu de principe au visa de l’article 1147 du Code civil (les faits étant antérieurs à la réforme du 10 février 2016) rappelle l’étendue de l’obligation de conseil du rédacteur : « l'avocat rédacteur d'acte est tenu à l'égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, d'une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les effets et les risques des stipulations convenues et que l'existence d'une clause claire dans l'acte ne le dispense pas de les informer sur les conséquences qui s'y attachent ».

Dans cette espèce, un avocat avait rédigé un acte sous seing privé par lequel un couple s’est porté acquéreur des parts d’une société qui exploitait un fonds de commerce situé dans un port. Cette exploitation reposait sur deux contrats de concession de droit privé, conclus avec des porteurs d’actions d’une société chargée par la commune de l’entretien et de l’exploitation du port.

La concession étant ensuite devenue caduque, la société, désormais occupant sans droit ni titre du domaine public portuaire, a fait l’objet d’une expulsion outre une condamnation au titre des redevances impayées.

Après avoir tenté vainement de faire juger nul l’acte de cessions des parts sociales, les acquéreurs se sont retournés contre l’avocat rédacteur de l’acte lui reprochant d’avoir manqué à ses obligations de conseil, d’information et de mise en garde, notamment au motif qu’il ne les avait pas alertés sur le caractère précaire des concessions dont dépendait l’activité de la société.

Alors que le Tribunal leur avait donné gain de cause et avait condamné l’avocat à réparer leur préjudice, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (22 oct. 2019, n° 18/00413) a infirmé la première décision et rejeté toutes les demandes des acquéreurs.

Pour écarter tout manquement de l’avocat à son devoir de conseil, la Cour d’appel a retenu que les actes de concessions, qui étaient annexés à l’acte de vente des parts sociales, faisaient apparaître que les lieux dans lesquels la société exploitait le fonds de commerce étaient situés sur le domaine public, et que donc les acquéreurs étaient informés de leurs droits par des clauses claires et détaillées.
En clair, selon la Cour d’appel, dès lors que l’information leur était fournie dans l’acte et ses annexes, il appartenait aux acquéreurs de bien les lire et les comprendre, sans qu’une faute puisse être reprochée à l’avocat.

Ce n’est pas l’avis de la Cour de cassation, dont l’arrêt du 10 novembre 2021 réaffirme le devoir de mise en garde qui pèse sur l’avocat.

La Cour de cassation précise en effet que l’existence d’une clause claire dans l’acte ne le dispense pas de son obligation d’informer les parties sur les effets, les risques et les conséquences qui s’y attachent.

En outre, les éventuelles compétences personnelles de parties, sont également sans incidence sur cette obligation.

L’autre intérêt de l’arrêt du 10 novembre 2021 réside dans le dernier alinéa de sa motivation.

Après avoir rappelé le raisonnement suivi par la Cour d’appel pour écarter tout manquement de l’avocat à son devoir de conseil, la Cour de cassation le censure et juge que « en se déterminant ainsi, sans rechercher si l’avocat avait spécialement mis en garde M. et Mme X qui acquéraient la totalité des parts de la société, sur les risques que comportait l’exploitation par celle-ci d’un fonds de commerce présentant de telles spécificités, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé » (soit l’article 1147 du Code civil).

D’une part, expressément, la Cour de cassation souligne qu’il appartient au juge du fond de vérifier si l’avocat a effectivement rempli ses obligations en matière de conseil et de mise en garde.

D’autre part, incidemment, elle rappelle qu’il appartient à l’avocat – débiteur de l’obligation – d’apporter la preuve de sa bonne exécution.

Dès lors, afin de satisfaire à ces exigences, l’avocat rédacteur doit en premier lieu identifier l’ensemble des risques et des conséquences attachées aux clauses de l’acte qu’il est en train de rédiger. En second lieu, il doit prendre soin d’en informer par écrit l’ensemble des parties.

 
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 10 novembre 2021, 20-12.235
 








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