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VERS UN DURCISSEMENT PAR LA HAUTE JURIDICTION DE LA VALORISATION DES TITRES DE SOCIETES NON COTEES


Rédigé par Philippe Touzet le Lundi 4 Décembre 2023

Dans un arrêt du 7 avril 2023, le Conseil d’état a rappelé que la valorisation des titres de sociétés non cotées relève de méthodes bien établies qui lorsqu’elles ne sont pas appliquées peuvent causer un appauvrissement non justifié constitutif d’un acte anormal de gestion. Elle en fait une application singulière au cas d’espèce



1. La valorisation des titres des sociétés non cotées au « juste prix ».


La Cour de cassation rappelle qu’il existe un ordre de priorité d’évaluation des titres.

Dans cet arrêt, elle égraine cet ordre de priorité :
  • d’abord par référence au prix d’autres transactions intervenues dans les conditions équivalentes et portant sur des titres de la même société, à défaut, de sociétés similaires,
  • ou par l’une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l’actif,
  • ou la combinaison de plusieurs de ces méthodes (guide d'évaluation des entreprises et des titres de sociétés).
  •  
Ces méthodes sont un vecteur en matière de valorisation des titres même lorsqu’elles portent sur des titres de sociétés d’un même groupe d’intégration fiscale.

Partant de cette méthodologie d’évaluation, le Conseil d’état, comme il l’a fait dans divers arrêts, rappelle que la valeur vénale des titres de sociétés non cotées en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée en tenant compte de tous les éléments permettant d’obtenir un chiffre aussi proche que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession est intervenue.

La haute juridiction fait application de ce principe dans plusieurs arrêts et notamment CE 30 janvier 2019[1] dans lequel l’administration se base uniquement sur des ventes antérieures pour retenir la valeur de titres. Elle a également censuré une valorisation reposant uniquement sur la valeur vénale des titres sans tenir compte de circonstances particulières de l’affaire, CE 21 décembre 2018[2].

2. La minoration de 14,1% du prix de cessions de titres entre des sociétés du même groupe d’intégration fiscale est constitutif d’un acte anormal de gestion


Dans cette affaire, une filiale du Crédit Agricole en run off (cessation progressive d’activité) depuis 2008 composée uniquement de trésorerie et de portefeuille de placements avait été cédée, selon l’administration fiscale à un prix inférieur à la valeur réelle, calculée selon la seule méthode patrimoniale et faisant ressortir un écart estimé à 14,1%.

Selon cet arrêt, il appartient au juge de l’impôt d’apprécier le caractère significatif de l’écart de valeur entre le prix de vente et la valeur vénale des titres en fonctions des circonstances particulières de l’affaire.

Contrairement à ce soutenait la Cour administrative d’appel de Versailles, le Conseil d'état estime que cet écart peut être considéré comme significatif au regard de circonstances particulières inhérentes à la société (cessation progressive d’activité et actif constitué essentiellement de trésorerie).

Cette décision peut paraître déroutante d’autant plus que la haute juridiction valide le recours à la seule méthode patrimoniale pour évaluer les titres de la société sans tenir compte des circonstances soulevées par la société. Force est de constater que le prix anormalement bas ressort, au regard des circonstances négligeables de l’affaire, d’une décorrélation avec la valeur de l’actif net de la société.

La Haute juridiction estime que dans les circonstances de l’affaire, l’écart de valorisation de 14,1%[3] doit être regardé comme significatif constituant donc un acte anormal de gestion.

Le Conseil d’état ouvre-t-il une nouvelle ère en matière d’écart de valorisation des titres de sociétés ?

Affaire à suivre.


[1] CE 30 janvier 2019, 9e chambre n°408436,
[2] CE 21 décembre 2018, 3e, 8e, 9e et 10e chambres réunies n° 402006,
[3] CE 3 juillet 2009, 8e et 3e sous-sections réunies, n°306363






CE 7-4-2023, 9e et 10e chambres réunies, n° 466247, Société Crédit Agricole









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