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Retrait d'associé : Importance du formalisme de la lettre de retrait


Rédigé par Philippe Touzet le Jeudi 12 Novembre 2015

Deux décisions rendues par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation le 16 avril 2015 illustrent la complexité du droit de retrait et nous donnent l’occasion de proposer quelques réflexions sur son régime juridique et ses conséquences dans les sociétés civiles professionnelles d’avocats, mais également, par extension, dans les sociétés d’exercice libéral.



 
Dans le premier arrêt [1] , la Cour était appelée à se prononcer sur le retrait d’un des associés animant le nouveau bureau pékinois d’un cabinet international basé à Paris, retrait ayant conduit à la fermeture du dit bureau. Le cabinet français, une SCP, avait voulu s’implanter en Asie en rachetant une partie de la filiale locale d’un autre cabinet international, un associé et une collaboratrice de cette structure devenant associés du cabinet Français, et devant prendre la tête de la nouvelle entité chinoise. En raison de difficultés administratives  avec les autorités chinoises, cette implantation a échoué, entraînant un différend entre les associés du cabinet, et l’assemblée générale prenant finalement acte du retrait d’au moins un des nouveaux associés.
 
Devant les premiers juges, l’associée « démissionnée » contestait avoir voulu se retirer de la SCP, les termes de sa lettre étant équivoques, ainsi que le montant auquel ses parts de la SCP lui avait été rachetées. La SCP poursuivait pour sa part la réparation de son préjudice liée à la désorganisation et à la perte d’image entraînée par la fermeture du bureau Pékinois, les retrayants ayant presque immédiatement fondé une nouvelle structure locale qui a en a récupéré les équipes et les clients, au moins en partie.
 
L’associée demanderesse au pourvoi, qui était basée en Chine, reprochait aux juges d’appels de l’avoir considérée comme retrayante, alors qu’elle n’avait pas notifié son retrait par LRAR. Elle avait seulement adressé un courriel à ses coassociés, refusant leurs propositions : « Je pense, dans l’intérêt de tous, qu’il serait préférable de faire l’économie de deux billets d’avion, et que mon conseil traite directement avec le vôtre des conséquences de notre départ imposé par vos propositions qui n’en sont pas. Bien entendu, ce départ devra être discuté sur la base de nos accords passés ».
 
Le pourvoi invoquait tout d’abord l’article 28 du décret n°92-680 du 20 juillet 1992 « pris pour l'application à la profession d'avocat de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles » qui prévoit expressément que le retrait d’un associé doit être notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception [2] . Subsidiairement, l’associée soutenait qu’à supposer même que le formalisme prévu par ce texte ne s’impose pas, le retrait d’un associé ne saurait se présumer, et que son message « se bornait à faire le constat d’une situation de blocage, manifestant ainsi le souhait de trouver une issue en concertation avec la SCP ».
 
Sur le second point, la cour se contente de renvoyer les parties à l’appréciation souveraine des juges du fond, seuls aptes à apprécier le sens de la manifestation de volonté ainsi exprimée par la demanderesse. Mais sur l’application de l’article 28, la Cour de cassation rejette la critique en considérant que « la formalité de la lettre recommandée est stipulée à titre probatoire et non pour la validé de l’acte ». La lettre recommandée prévue par le texte n’a donc pour seul objet que de faire courir le délai de six mois.
 
La solution rappelle celle appliquée par la même Cour dans d’autres domaines proches où la notification par LRAR est expressément prévue, comme l’appel des décisions du bâtonnier en matière de contestation d’honoraires : « Attendu que la décision du bâtonnier en matière de contestation d’honoraires est susceptible de recours devant le premier président qui est saisi par l’avocat ou la partie par lettre recommandée avec demande d’avis de réception dans le délai d’un mois ; que la formalité de la lettre recommandée n’est destinée qu’à régler toute contestation sur la date du recours. [3]»
 
Elle est toutefois tout à fait contraire à une autre décision de la même chambre, également rendue en matière de retrait, le 7 février 2006 [4] . Dans cette affaire, une associée avait notifié son retrait sans autre précision. Cette notification aurait dû paraître satisfaisante, car conforme à l’article 28 précité [5] , mais la cour a estimé que le délai de six mois n’avait pas couru : « Mais attendu que la cour d'appel a constaté qu'à la date invoquée, Mme X n'avait manifesté que son intention de se retirer, sans préciser si elle entendait céder ses parts à un tiers avec le consentement de son co-associé, ou les faire racheter puis annuler par la société », de sorte que c’est seulement à compter de la demande par la retrayante de la convocation d’une assemblée générale en vue du rachat et de l’annulation de ses parts que le délai de six mois a pu être décompté.
 
Il s’agit sans aucun doute d’une décision isolée, mais le praticien sera attentif, toutefois, pour éviter une telle mésaventure, à ce que la notification de retrait ne puisse être interprétée comme une simple déclaration d’intention, qui n’aurait pas pour effet de déclencher le délai de 6 mois, au terme duquel, conformément à l’article 28 du décret 92-680 du 20 juillet 1992, la société doit notifier, en réponse à l’associé, le projet de cession ou de rachat de ses parts.
 
 
 
 
[1] Cass. 1ère civ, 16 avril 2015, 14-10257
[2] Article 28 : « Lorsqu'un associé demande son retrait en application de l'article 21 de la loi du 29 novembre 1966 précitée, il notifie cette demande à la société par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La société dispose de six mois à compter de cette notification pour notifier elle-même à l'associé, dans la même forme, le projet de cession ou de rachat de ses parts, qui constitue engagement du cessionnaire ou de la société qui se porte acquéreur. »
[3] Cass. Civ 2ème, 19 mars 2009, n° 08-15838 ; dans le même sens Cass Civ 2ème 30 avril 2014, 13-19687
[4] Cass Civ. 1ère, 7 février 2006, n° 03-10.850, commentaire Renaud Mortier, revue des sociétés 2006 p. 842
[5] Cf. note 2








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