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Redressement judiciaire, pour qui sonne le glas


Rédigé par Gersende Cenac le Vendredi 14 Décembre 2012

Le 7 décembre 2012, une décision du Conseil Constitutionnel signe la fin de la saisine d'office du tribunal dans les procédures de redressement judiciaire. En réponse à une question prioritaire de constitutionnalité, cette disposition du Code de commerce a été invalidée.



Redressement judiciaire, pour qui sonne le glas
L'alinéa premier de l'article L.631-5 du Code de commerce, dans sa version initiale, prévoyait jusque là que "le tribunal peut également se saisir d'office ou être saisi sur requête du ministère public aux fins d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire".

Jugeant que cette faculté d'autosaisine du tribunal contrevenait directement à une norme de valeur constitutionnelle, en l'occurrence l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui dispose que "toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution", les requérants ont formulé une question prioritaire de constitutionnalité.

Par principe, en droit français, le juge ne peut pas s'autosaisir d'un litige, sauf exceptions légales. Ce postulat s'explique par la volonté de ne pas compromettre le principe d'impartialité des juridictions.

En effet, comment justifier que le juge qui aura à trancher de l'issue d'un litige puisse unilatéralement décider d'en connaître, sans risquer de mettre en doute son impartialité?

A titre d'exemple, la procédure disciplinaire applicable aux avocats a été jugée conforme à la Constitution, en ce que "le bâtonnier de l'ordre du barreau de Paris n'est pas membre de la formation disciplinaire du conseil de l'ordre du barreau de Paris" (décision n°2011-179 QPC du 29 septembre 2011). Il faut donc qu'une césure existe entre l'autorité de poursuite et l'autorité de jugement.

Aussi, si l'autosaisine n'est pas la règle, elle peut devenir l'exception, à la double condition cependant qu'"elle soit fondée sur un motif d'intérêt général et que soient instituées par la loi des garanties propres à assurer le respect du principe d'impartialité".

Dans notre cas, la conformité de la saisine d'office du juge à l'intérêt général ne faisait pas débat. Il était reconnu que cette faculté était un "remède à l'inertie du débiteur et des créanciers", (Commentaire de la décision publié par le Conseil Constitutionnel), en permettant que la "procédure de redressement judiciaire ne soit pas retardée afin d’éviter l'aggravation irrémédiable de la situation de l'entreprise" (Considérant n°6 de la décision).

L'inconstitutionnalité se trouvait ailleurs, dans l'absence de garanties suffisantes propres à assurer le respect du principe d'impartialité.

Le Conseil Constitutionnel a fait remarquer que "ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne fixent les garanties légales ayant pour objet d'assurer qu'en se saisissant d'office, le tribunal ne préjuge pas sa position lorsque, à l'issue de la procédure contradictoire, il sera appelé à statuer sur le fond du dossier au vu de l'ensemble des éléments versés au débat par les parties".

C'était justement dans le but de clarifier les esprits que la Cour de cassation avait rappelé en 1992 que la note établie par le juge, préalablement à sa saisine d'office, devait être neutre et ne s'assimiler en aucun cas à un préjugement pouvant "apparemment laisser penser que le président de la juridiction de jugement ne disposait pas de l'impartialité objective du juge" (Cass. Com., 3 novembre 1992, n° 90-16751). Les Sages ont souhaité aller encore plus loin, en frappant d'inconstitutionnalité la faculté d'autosaisine de juge.

Notons que cette déclaration d'inconstitutionnalité prend effet "à compter de la date de publication de la présente décision", soit le 8 décembre 2012.

La nouvelle rédaction de l'article L.631-5 du Code de commerce prévoit depuis cette date que "le tribunal peut également être saisi sur requête du ministère public aux fins d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire", sans préjudice de l'alinéa 2 autorisant la saisine du tribunal par un créancier.

A l'avenir, l'initiative de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire reviendra donc au débiteur, au créancier ou au ministère public. Mais comme le soulignent certains observateurs, encore faut-il que ce dernier dispose des informations nécessaires pour en déclencher l'ouverture.

Un peu de prospective s'impose: la suppression de cette saisine d'office du juge est-elle la première d'une longue liste?

Pour mémoire, le Code de commerce autorise le juge à se saisir d'office en matière de conversion de la procédure de sauvegarde en redressement (article L.621-12 du Code de commerce), de résolution d'un plan de sauvegarde (article L.626-27 II), de cessation partielle d'activité dans le cadre d'un redressement judiciaire ou de la conversion de cette procédure en liquidation (article L.631-15 II).

Mais pour combien de temps encore?

Décision n° 2012 – 286 QPC du 7 décembre 2012










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