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Philippe Touzet, interview sur Finyear, sur l’indemnisation des frais de justice engagés par le créancier


Rédigé par Touzet Bocquet & associés le Lundi 27 Avril 2015

Nous ne résistons pas au plaisir de publier, l'interview de Philippe Touzet, sur le site Finyear, 1er quotidien en ligne en Gestion Financière & Corporate Finance, avec son aimable autorisation.



Finyear : Philippe Touzet, Bonjour, votre cabinet comprend un département spécialisé en matière de recouvrement judiciaire. Quelles sont les règles en matière d’indemnisation des frais de justice pour le créancier ?
 
On a beaucoup parlé de la fameuse indemnité de 40 € de retard de paiement, issue de la directive européenne 2011/7/UE du 16 février 2011 « concernant la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales », mais les commentateurs ont généralement omis la mesure la plus importante de ce texte.
 
En matière de recouvrement commercial, depuis la transposition de la directive, le fameux « article 700 » du Code de procédure civile n’est en effet plus applicable, car est désormais prévu au bénéfice du créancier un principe d’indemnisation intégrale de ses frais de recouvrement.
 
Qu’est-ce que ça change en pratique ?
 
Tous les praticiens du système judiciaire français, et également les justiciables, se sont habitué, depuis l’introduction de l’article 700 dans notre code de procédure civile, en 1976, à l’idée que la partie gagnante ne peut pas recouvrer l’intégralité de ses frais, et reste donc, au final, victime de la faute dont elle a obtenu réparation, même après l’office du juge.
 
Je rappelle que l'article 700 est une disposition unique dans notre système juridique, puisqu'elle s'appuie sur l'équité, et que cette notion – morale, non juridique et floue - laisse à chaque juridiction le soin de décider ce qui est ou n'est pas équitable, décision nécessairement subjective. Ainsi, il est très courant que le juge refuse d’indemniser la partie gagnante lorsqu’il s’agit d’une entreprise d’une grande taille, alors que le débiteur, même de mauvaise foi, est une petite entreprise.
 
De ce fait, en matière de crédit interentreprises, de très nombreux débiteurs profitent de cette situation, jouant de mauvaise foi sur la difficulté et les coûts résiduels qui aboutissent très fréquemment à décourager le créancier d’agir, notamment pour les créances modestes.
 
C’est pourquoi la nouvelle règle européenne est une révolution. Elle modifie radicalement cette vision des choses. Je rappelle que ce texte a été transposé en droit français par la loi n°2012.387 du 22 mars 2012, à l’article L.441-6, I du Code de commerce, qui dispose désormais que : « […] Lorsque les frais de recouvrement exposés sont supérieurs au montant de cette indemnité forfaitaire [il s’agit de l’indemnité de 40 €], le créancier peut demander une indemnisation complémentaire, sur justification. »
 
Désormais, le créancier peut donc obtenir l’intégralité de ses frais, et notamment le remboursement de l’intégralité des honoraires d’avocat qu’il aura dû engager pour gérer le contentieux de recouvrement. La directive le prévoit explicitement : « Le créancier est en droit de réclamer au débiteur, outre le montant forfaitaire visé au paragraphe 1, une indemnisation raisonnable pour tous les autres frais de recouvrement venant en sus dudit montant forfaitaire et encourus par suite d’un retard de paiement. Ces frais peuvent comprendre, notamment, les dépenses engagées pour faire appel à un avocat ou à une société de recouvrement de créance ».
 
De son côté, la DGCCRF a précisé dans une note d’information du 29 novembre 2012, d’une part que cette indemnité est due en sus des pénalités de retard, et d’autre part que « les frais réels comportent notamment les frais exposés pour la rémunération d’un avocat ».
 
Je précise qu’il s’agit d’une disposition d’ordre public économique, et que par conséquent, nonobstant toute disposition contractuelle contraire, 100 % des créanciers sont en droit d’obtenir cette indemnisation intégrale, et que la juridiction saisie ne peut pas rejeter cette demande, qui est de droit, à la seule réserve qu’elle doit être justifiée et conserver un caractère raisonnable. Le caractère raisonnable ne figure pas dans le texte français, mais est énoncé par la directive. Il est de toute façon nécessairement sous-entendu compte tenu de la pratique judiciaire française.
 
Pourquoi dites-vous que c’est une révolution ?
 
Le marché, en matière de recouvrement contentieux, est profondément habitué à vivre un système de pénurie de moyens. Le judiciaire coûte cher, parce qu’il prend du temps. Il prend du temps parce que le débat judiciaire est l’occasion pour le débiteur de pouvoir présenter n’importe quelle argutie de mauvaise foi, comme un moyen sérieux, sans être jamais sanctionné par la juridiction pour cette mauvaise foi, car au final, le droit de se défendre prime tout le reste. Par conséquent, en matière de recouvrement de créances, les enjeux n’étant pas toujours importants, l’engagement d’une procédure représente un risque pour le créancier, et il est fréquent que l’arbitrage soit fait en faveur de l’abandon de la créance après l’échec de l’action amiable.
 
Le système juridique français a donc une lourde responsabilité dans la situation de retard de paiement dans notre pays, en rappelant que 25% des quelques 60.000 dépôts de bilan chaque année sont dus aux mauvais payeurs. De ce fait,  le règlement de l’intégralité des frais engagés par un créancier pour recouvrer sa créance est un enjeu macro-économique capital. Si la nouvelle règle est appliquée de façon généralisée par les juridictions, cela aura immanquablement un considérable effet assainissant sur les relations interentreprises.
 
Philippe Touzet, je vous remercie et vous donne rendez-vous très prochainement dans un nouveau numéro de Finyear.

http://www.finyear.com/Indemnisation-des-frais-de-justice-engages-par-le-creancier-Philippe-Touzet-avocat_a32699.html
 








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