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Les arrêts Pages Jaunes : quand l'anticipation devient le maître mot !


Rédigé par Touzet Bocquet & Associés le Vendredi 19 Mai 2006

La Chambre sociale de la Cour de Cassation a rendu le 11 janvier 2006, trois arrêts dits "Pages jaunes" qui ont amené les professionnels du droit social à s'interroger sur une évolution sensible ou non du droit du licenciement collectif reposant sur la notion de sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise.



Cette voie de licenciement, ouverte par l’arrêt Thomson Vidéocolor du 5 avril 1995, permet la mise en oeuvre des licenciements économiques dans le cadre d'une réorganisation ou d'une restructuration destinée à cette fin.

"licencier pour sauvegarder la compétitivité ?"

La société Pages Jaunes avait décidé de procéder à une réorganisation commerciale de l'entreprise afin d'assurer la transition entre ses produits traditionnels (annuaire papier, minitel) vers les produits découlant des nouvelles technologies de l'information (site, mobile, internet).

Cette réorganisation avait pour objet la suppression de 9 postes de travail, la création de 42 nouveaux emplois, et la modification du contrat de travail de 930 conseillers commerciaux (rémunération – intégration des nouveaux produits dans leur portefeuille).

Certains de ses commerciaux avaient refusé la modification de leur contrat de travail, situation qui avait entraîné leur licenciement pour motif économique.

Or, il est important de souligner que la société Pages jaunes ne connaissait pas de difficultés économiques immédiates, et était largement bénéficiaire.

En validant la mise en oeuvre de tels licenciements, la Cour de Cassation a retenu une solution inédite en ce que les entreprises qui ne sont pas confrontées à des difficultés économiques immédiates peuvent néanmoins procéder à des licenciements en vue de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.

"même si les difficultés ne sont pas immédiates"

Certains auteurs ont ainsi cru détecter une évolution sensible de la jurisprudence traditionnelle de la Cour sur cette question, à tel point que la Haute Juridiction a souhaité diffuser par son service de documentation et d'études, un communiqué précisant la portée des critères de sauvegarde de compétitivité de l'entreprise dans une optique de prévention.

La Cour appelle en réalité l’employeur à des mesures d’anticipation, dans la droite ligne des dispositions de la loi Borloo qui a introduit le principe de la gestion prévisionnelle des emplois (article L 320-2 du Code du Travail).

Ce communiqué précise qu"en relevant que les difficultés économiques à venir étaient liées aux mutations technologiques", la Cour de Cassation note que "la source de difficultés futures pourrait être démontrée et appelle à des mesures d'anticipation".

"mise en avant des mesures d’anticipation ?"

Le lecteur se souviendra que la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005, dans son article 72 transposé à l’article L 320-2 du Code du travail, avait renforcé l'impératif de gestion prévisionnelle par les entreprises.

Jusqu'à présent, et depuis 1995, la Chambre Sociale avait régulièrement rappelé que la réorganisation de l'entreprise n'est pas nécessaire à la sauvegarde de cette compétitivité, si aucune menace ne pèse sur celle-ci (cf Chambre Sociale 15/01/2003 et 29/01/2003).

Les arrêts "Pages jaunes" ne reviennent pas sur cette construction d'origine, qui est au contraire affinée en confirmant la solution retenue par la Cour d'Appel de Dijon qui avait constaté la mise au profit par la société d'une situation financière saine pour adapter ses structures à l'évolution du marché dans les meilleures conditions.

La Cour semble allier sa règle de droit d'origine à une situation pragmatique liée aux conséquences inéluctables sur les nombreux emplois des évolutions technologiques à venir, reconnaissant que l'entreprise devait prendre des dispositions pour préserver sa compétitivité, et prévenir des difficultés économiques prévisibles à terme.

Les arrêts "Pages jaunes" retiendraient donc comme postulat que le licenciement peut-être tenu pour valable s'il est certain que les emplois concernés vont être supprimés à terme, compte tenu des évolutions technologiques, l'entreprise ayant pris des mesures d'anticipation afin de modifier le contenu de ses emplois pour les préserver.

L’objectif poursuivi reconnu par la Cour ne doit pas en revanche s’analyser comme une recherche de profits accrus, la Cour d’appel de Dijon ayant retenu précisément que la réorganisation « répond à l’objectif quand elle est mise en œuvre pour anticiper des difficultés économiques à venir et éviter des licenciements supérieurs en nombre plus importants »

L’entrepreneur souhaitant glisser ses pas dans cette nouvelle approche affinée retiendra cependant que la Cour s’est efforcée de caractériser le lien devant exister entre la réorganisation en cause avec la situation de l’entreprise et celle du marché.

Un effort rédactionnel supplémentaire sera donc exigé au niveau du Livre IV pour mettre en perspective les évolutions technologiques en cours ou anticipées, leurs conséquences sur l’emploi, le positionnement de l’entreprise, et la nécessité de procéder aux adaptations de postes du personnel.

A confirmer…








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