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Les Sociétés d’Exercice Libéral après l’Ordonnance du 8 février 2023 - II - Les sociétés d'exercice libéral et les sociétés de droit commun


Rédigé par Philippe Touzet le Jeudi 23 Janvier 2025

L'ordonnance du 8 février 2023 est entrée en vigueur le 1er septembre 2024. Nous republions sur parabellum, sous la forme d'une série d'articles, le commentaire paru en septembre 2024 dans la revue Droit et patrimoine.



II - LES SOCIETES D’EXERCICE LIBERAL ET LES SOCIETES DE DROIT COMMUN

La SEL est-elle une société d’exercice libéral ou libérale ? Il peut y avoir un peu de confusion sur ce sujet puisque la Direction générale des Entreprises (DGE) du Ministère de l’Economie et des finances a publié le 11 décembre 2023, trois guides à destination des professions libérales réglementées, lesquels [1] évoquent la société d’exercice libérale. Toutefois, à la lecture de l’ordonnance [2], il ne fait aucun doute que le terme « libéral » s’applique à l’exercice et non à la société, laquelle est donc d’exercice libéral.

Le livre III « Des sociétés d’exercice libéral », partie principale de l’ordonnance, lui est consacré. Il comprend les articles 40 à 95, étant précisé que les articles 40 à 67 sont consacrés aux dispositions communes, suivis des articles 68 à 79 pour les professions de santé, puis des articles 80 à 84 pour les professions juridiques et judiciaires (PJJ), et enfin 85 à 95 pour les professions techniques.

Dans ce second article, nous tentons d'éclairer le débat sur la coexistence, désormais certaine, entre les SEL et les SEDC.
 
  1. La SEL se définit par son objet…

La société de PLR est soumise au nouveau régime à raison de son objet social. En effet, l’article 40 de l’ordonnance dispose clairement : « Il peut être constitué, pour l'exercice d'une profession libérale réglementée, des sociétés à responsabilité limitée, des sociétés anonymes, des sociétés par actions simplifiées ou des sociétés en commandite par actions régies par les dispositions du livre II du code de commerce, sous réserve des dispositions du présent livre. »

La SEL n’est pas une forme sociale. La question a pu se poser sous l’empire de la loi de 1990. Le guide DGE précité rappelle en effet que : « La complexité des dispositions de la loi de 1990 a également généré un manque de lisibilité, laissant penser que les sociétés d'exercice libéral étaient des formes juridiques autonomes et non un prisme d'adaptation des dispositions régissant les sociétés commerciales de capitaux de droit commun (SARL, SA, SAS, SCA). [3]  »

Mais il est clair désormais que la SEL n’est pas une forme sociale spécifique, distincte des sociétés régies par le Code de commerce, mais seulement un régime spécial, qui vient s’appliquer – lex specialia - en plus du droit commun défini par les règles du Code civil et du Code de commerce.

On pourrait toutefois s’interroger à la lecture de l’article 132 de l’ordonnance lequel précise à trois reprises [4] que « Lorsque la forme juridique d'exercice est une société à responsabilité limitée, une société anonyme, une société par actions simplifiée […] régies par les dispositions du livre II du code de commerce, celle-ci est également soumise aux dispositions du livre III de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 … » ; or, si cette forme est également soumise, c’est qu’il y aurait une autre forme, donc  les SEL ? Mais il s’agit plutôt d’une maladresse rédactionnelle. Le guide de la DGE précise d’ailleurs clairement que : « Ces questions de sémantique ont permis notamment de poser la question de la nature de la société d’exercice libéral. Si les particularités de l’exercice libéral peuvent donner l’impression que les SEL relèvent d’un régime à part, celles-ci sont bien, avant tout, des sociétés à forme commerciale et des sociétés de capitaux. Leurs spécificités – dont en premier lieu l’indépendance des PLR – sont prises en compte dans un texte spécifique (anciennement la loi de 1990 et désormais l’ordonnance de 2023) qui ajoute une couche de dispositions supplémentaires à celles du droit commun (code de commerce). »

Par conséquent, une SELARL, par exemple, est une SARL [5] soumise à l’ordonnance, qui doit donc respecter les règles spéciales dérogatoires de ce texte et l’ensemble des autres règles non contraires.

Les SEL sont donc bien des sociétés de droit commun, auxquelles on ajoute une couche réglementaire supplémentaire lorsque ces sociétés ont pour objet social l’exercice d’une profession libérale réglementée.

L’idée de départ (« la « couche réglementaire ») est toujours là. Mais on est un peu frustré par le résultat tant il aurait été plus satisfaisant, pour la cohérence de l’ensemble, de supprimer les SEL et non les SEDC, pour y appliquer cette « couche réglementaire ».
Aujourd’hui, compte tenu des choix effectués par les rédacteurs du texte, nous aboutissons à quelque obscurité puisqu’il va exister des SEL qui sont en fait des sociétés de droit commun et des SEDC qui ont tout d’une SEL. Car en effet, l’objet social « PLR » ne suffit pas à faire de la SEDC une SEL. 
 
  1. … et par sa dénomination

Si la condition de l’objet social est nécessaire pour que la société soit une SEL, elle n’est cependant pas suffisante. Encore faut-il que les associés aient décidé de la dénommer « SEL ».

En effet, l’article 132 précité de l’ordonnance poursuit ainsi : « Lorsque la forme juridique d'exercice est une société à responsabilité limitée, une société anonyme, une société par actions simplifiée […] celle-ci est également soumise aux dispositions du livre III de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées à l'exception des obligations de dénomination prévues au premier alinéa de l'article 41 de cette ordonnance qui deviennent facultatives. »
Cette disposition a été diversement commentée.

Pour B. Dondero [6] , il s’agit d’un « dispositif ambigu » dont il ressort une « absence de suppression formelle » de la « possibilité que les membres d’une PLR constituent une société de droit commun », de sorte que selon cet auteur, « cette possibilité reste ouverte. » Pour R. Mortier [7] , « l’article 132 sans l’interdire opère un infléchissement de l’exercice des [PLR] sous forme de sociétés de droit commun… que les rédacteurs de l’ordonnance … ont préféré … maintenir » mais il s’interroge sur « ce qui distinguera les deux types de sociétés très concrètement.[8]  ». Pour A. Reygrobellet [9] , « on ne voit pas trop l’intérêt de recourir à une société de droit commun qui devra appliquer la quasi-totalité des règles applicables aux SEL ».

On peut lire, à l’inverse, que « L’ordonnance n’évince le régime des sociétés commerciales de droit commun […] que pour la seule famille des professions juridiques et judiciaires [10] . » ou que « les textes […] sont ainsi modifiés pour contraindre à recourir au statut dérogatoire de la société d’exercice libéral […][11] »

Il ne fait cependant aucun doute que la SEDC continue d’exister, y compris pour les professions juridiques et judiciaires, mais ce n’est évidemment pas la SEDC de la loi « croissance [12]  », avec son régime juridique distinct, mais une nouvelle « SEDC soumise à l’ordonnance » : il reste que faute d’être dénommée « SEL » par ses fondateurs, il ne s’agira pas d’une SEL mais d’une SARL, d’une SAS, d’une SA, etc.

Le guide DGE le confirme. Il n’évoque aucune suppression de ces SEDC mais au contraire leur maintien : « Ainsi, l’ordonnance de 2023 simplifie le paysage législatif en assujétissant les régimes de 2015 à la loi de 1990. L’objectif était de conserver les atouts de ces deux lois : la sécurité apportée par la loi de 1990 et les assouplissements introduits par la loi de 2015. »

Pour tenter une définition :
  • La SEL se définit comme une société de droit commun, ayant à la fois (i) un objet social d’exercice d’une PLR, et (ii) une dénomination de SEL sur l’ensemble de sa documentation sociale et professionnelle. Cette SEL est donc bien une société de droit commun ;
  • La SEDC se définit comme une société de droit commun ayant pour objet social d’exercer une PLR, et qui, de ce fait, est soumise à l’ordonnance, excepté son article 41. Par conséquent, en dehors de sa dénomination, elle est exactement comme une SEL ;
Ainsi, il ne fait pas de doute que les deux formes coexistent.  Reste la question de l’intérêt d’une telle SEDC : nous l'évoquons dans l'article suivant.
 
[[3]] Voir aussi B. Brignon, Sociétés d’exercice libéral, Jcl Sociétés Traité fasc. 192-30
[[4]] Modifiant successivement l'article 3-2 de l'ordonnance du 10 septembre 1817, l'article 1er bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, l'article 5 de l'ordonnance du 2 juin 2016, l'article 8 de la loi du 31 décembre 1971 et les articles L. 811-7 et L. 812-5 du code de commerce
[[5]] On est tenté d’écrire : « n’est qu’une SARL »… 
[[6]] B. Dondero, op. préc.
[[7]] R. Mortier, op. préc. Fiche n° 1
[[8]] Dans le même sens : S. Bortoluzzi, op. préc.
[[9]] A. Reygrobellet, op. préc.
[[10]] D. Gallois-Cochet, Un nouveau texte de référence pour les sociétés de professions réglementées - GP 20 juin 2023 n°21
[[11]] G. Valdelièvre, Réforme des sociétés de professions libérales réglementées par l’ordonnance n°2023-77 du 8 février 2023 – GP 2o juin 2023 n°21
[[12] Loi n° 2015-990 du 6 août 2015
 
[[2]] Not. Titre III, article 41








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