III - LES SDEC, QUEL INTERET… ?
- Au plan pratique
Au plan très pratique tout d’abord, utiliser l’article 132 signifie déroger à l’article 41 lequel prévoit que « la dénomination sociale de la société est, immédiatement précédée ou suivie, selon le cas, soit de la mention : « société d'exercice libéral à responsabilité limitée » ou des initiales : « S.E.L.A.R.L. », soit […] et par l'indication de la profession exercée et du montant de son capital social… »
Les SEDC soumises à l’ordonnance pourront donc utiliser une dénomination de droit commun [1], ne pas indiquer « SEL… » sur leurs documents sociaux et supports de communication. Elles ne sont pas non plus soumises à l’obligation d’indiquer la profession exercée [2] . L’indication du capital reste obligatoire en application du droit commun.
Autre effet pratique non négligeable, et qui a pour partie motivé la rédaction de l‘article 132, cette disposition permet d’éviter de très nombreuses opérations de régularisation de l’ensemble des SEDC existantes, lesquelles n’auront aucune modification statutaire à faire, si elles sont en conformité avec l’ordonnance. Or, ce sera les cas de la plupart des SEDC, qui étaient jusqu’alors soumises au régime de la loi du 6 août 2015, très proche – à part quelques subtiles variations – du régime de la loi de 1990.
A part ces deux points, quelle distinction entre les SEDC et les SEL ? il faut sans doute aller rechercher du côté du régime fiscal de la rémunération des associés de SEL. C’est d’ailleurs la seconde raison de cet ajout dans le texte de l’article 132.
- Un enjeu majeur : le régime des rémunérations des associés
Pour bien comprendre, il faut remonter à la genèse du projet d’ordonnance. Il a déjà été indiqué que le rapport IGF proposait l’extinction des SEL, que cette voie était soutenue par la profession d’avocat, qui souhaitait une universalisation des règles, mais qu’elle n’a finalement pas a été suivie par la DGE, en raison des demandes de certaines professions médicales. Bien que le projet d’ordonnance remette ainsi en cause les possibilités offertes par la loi Macron, cette situation paraissait cependant acceptable dès lors qu’il s’agissait d’un régime harmonisé et universel concernant l’ensemble des professions libérales réglementées.
Or, lors de l’envoi du texte au conseil d’État, en décembre 2022, les représentants des professions, et notamment le CNB, ont découvert une disposition [3] qui ne figurait pas dans les versions soumises à la concertation, laquelle conduisait à remettre en cause la possibilité de créer des sociétés de droit commun, mais seulement pour les six professions juridiques et judiciaires. Par conséquent, les conseils en propriété intellectuelle, les experts-comptables, et les commissaires aux comptes pourront continuer à exercer en SEDC, sans être soumis au régime des SEL, alors même que l'objet social de leurs sociétés est l'exercice d'une profession libérale réglementée, concurrente, pour une bonne part, à celles d’avocat et de notaire.
Concomitamment, le 15 décembre 2022 était publiée la modification de la doctrine fiscale concernant le régime des rémunérations dites « techniques » des associés de SEL [4]. Pour simplifier, le régime fiscal alors applicable, notamment selon une réponse ministérielle Cousin [5] , aujourd’hui rapportée, assimilait tous les associés, hors hypothèse de subordination, à des dirigeants [6] . Puis par deux arrêts successifs de 2013 [7]et 2017 [8], le Conseil d’Etat a jugé que le professionnel, qu’il soit ou non dirigeant, en l’absence de lien de subordination, perçoit pour son « activité technique » des bénéfices non commerciaux (BNC) et non plus, donc, des revenus de dirigeants. La doctrine fiscale et la jurisprudence du Conseil d’Etat se trouvaient donc opposées et cette situation était source de nombreuses incertitudes concernant les sociétés par actions [9].
Alors que la profession d’avocat militait activement pour l’APE et pour l’extension de l’article 62 audit APE, la Direction de la Législation fiscale (DLF) publiait sa nouvelle doctrine administrative [10], laquelle entérine la jurisprudence précitée et prévoit désormais : « … les rémunérations des associés (dirigeants ou non) de SELAFA, SELAS, SELARL et de SELCA, allouées à raison de l’exercice de leur activité libérale dans ces mêmes sociétés sont en principe imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, conformément au 1 de l’article 92 du CGI . En revanche, lorsqu’il est établi qu’un lien de subordination existe entre l’associé et la SEL au titre de l’exercice de cette activité, ces rémunérations sont imposées dans la catégorie des traitements et salaires.
S’estimant prise en tenailles entre ces deux dispositions, (i) le nouveau régime des rémunérations techniques et (ii) l’article 132 de l’ordonnance fermant la porte des SEDC pour les seules PJJ, la profession d’avocat envisageait alors d’exercer un recours du fait d'une rupture de l'égalité devant la loi : en effet, le nouveau régime ne s'applique qu'aux SEL et les professions concurrentes qui continuent de pouvoir disposer des SEDC n’y sont pas soumises (elles disposent d’un choix), alors que les PJJ le sont obligatoirement.
Informés de cet éventuel recours, et alors que le texte été soumis au Conseil d’État, les pouvoirs publics proposaient de le modifier, en vue de réintroduire la possibilité pour les professions juridiques et judiciaires, de conserver des SEDC. Comme évoqué supra, deux motivations principales ont motivé cette modification : (i) éviter l’obligation de mise en conformité massive du stock de SEDC, et (ii) permettre aux PJJ de conserver un choix entre SEL et SEDC, du point de vue du nouveau régime des rémunérations.
Le recours était abandonné et l’ordonnance était promulguée avec un article 132 (ex 135) modifié comme suit : : « Lorsque la forme juridique d’exercice est une société à responsabilité limitée, une société anonyme, une société par actions simplifiée ou une société en commandite par actions régies par les dispositions du livre II du code de commerce, celle-ci est également soumise aux dispositions [du titre III de l’ordonnance relative au SEL] à l’exception des obligations de dénomination prévues au premier alinéa de l’article 41 de cette ordonnance qui deviennent facultatives. »
On ne reviendra pas sur les analyses doctrinales évoquées supra, lesquelles considèrent que les SEDC sont maintenues, seul l’intérêt de ce maintien étant en fait discuté. Dès lors que la société d’exercice, au choix des associés, n’est pas dénommée SELARL ou SELAS, mais SARL et SAS, on doit en déduire qu’il s’agit d’une « simple » SEDC [11], certes soumise à l’ordonnance, mais pas une SEL ; en conséquence, ne s’agissant pas d’une SEL, elle n’est pas soumise au nouveau régime des rémunérations techniques [12], lequel est notamment défini par le rescrit du 27 décembre 2023 [13], et qui ne s’applique qu’aux SEL, ce qui résulte clairement de la lecture dudit rescrit qui balaye et met à jour, sur 74 pages, l’ensemble des paragraphes du BOFIP consacrés aux SEL [14]. Cette SEDC peut donc continuer à comptabiliser la rémunération de ses associés sous le régime antérieur [15].
Le Conseil d’Etat est toutefois désormais saisi d’un recours par le CNB portant sur la rupture d’égalité découlant de la distinction entre le régime des rémunérations de droit commun pour les SEDC maintenues au bénéfice de certaines professions et le régime dérogatoire des PLR, et il devra se prononcer, sans doute avant la fin de l’année 2024. Mais il pourrait rejeter le recours, puisque dans ce cas, la rupture d’égalité n’aurait plus lieu d’être, si il confirmait, ce qui semble s’imposer, que les sociétés qui font emploi de l’article 132 sont bien des SEDC au sens du régime fiscal applicable aux SEL.
[[1]] Laquelle reste bien entendu déontologiquement soumise aux dispositions de l’article 10 du RIN
[[2]] En ce sens, R. Mortier, op. préc. fiche n°1
[[3]] L’ensemble des dispositions générales, dont l’article 135 du projet, devenu 132 dans l’ordonnance, n’ont pas été soumises à concertation avant envoi du projet au Conseil d’Etat
[[4]] Ph. Touzet, Rémunérations des associés de SEL : un régime strict, discriminatoire, et des incertitudes nombreuses, Dalloz actualités, 27 novembre 2023
[[5]] BOI-RSA-GER-10-30, § 510
[[6]] CGI art.80 ter pour les sociétés par actions et CGI art. 62 pour les autres types de société
[[7]] CE n° 339822 du 16 octobre 2013
[[8]] CE n° 409429 du 8 décembre 2017
[[9]] outre les gérants minoritaires de SELARL, situation cependant beaucoup plus rare en pratique
[[10] BOI-RSA-GER-10-30-15/12/2022 n°520
[[11]] Cf. B. Dondero, op. préc. et R. Mortier, op. préc. Fiche n° 1
[[12]] Sous réserve bien sur de l’opinion du Conseil d’Etat qui sera sans doute rapidement saisi de la question
[[13]] RES - RSA - BNC - TVA - IF - Régime fiscal applicable aux associés de sociétés d'exercice libéral
[[14]] Ph. Touzet, Rémunérations des associés de SEL, op. préc.
[[15]] Sous la même réserve