Les demandeurs contestaient en effet la validité des clauses annulant toute valeur de leurs titres, de même que celles prévoyant la suppression rétroactive de leurs rémunérations variables ; ils estimaient que ces clauses les privaient de leur liberté d’exercice et étaient léonines.
Le pourvoi portait donc notamment sur la question de savoir si les dispositions statutaires d’une société d’exercice libéral par actions simplifiées peuvent décider valablement que les actions de l’associé sortant seront valorisées à leur valeur nominale, et non à leur valeur réelle, même en cas de sortie non volontaire dudit associé.
De cet arrêt, et de l’arrêt attaqué (Paris, 12 février 2020, n° 2018/15568), on peut tirer quatre enseignements : les statuts peuvent décider librement de la valeur des actions, ce qui nous semble faire fi de certaines considérations fiscales (1) ; la clause qui fixe la valeur des titres d’une société, en cas de départ même forcé d’un associé, à la valeur nominale n’est pas léonine, ce qui, de notre point de vue, est contestable (2) ; il est possible de remettre en cause des rémunérations antérieurement votées sous certaines conditions (3). On verra enfin que ces juridictions font peu de cas de la liberté d’exercice de l’avocat, qui était invoquée au soutien des demandes (4).
Les associés exclus attaquaient tout d’abord les délibérations de l’assemblée générale fondées sur l’article 11-25 du règlement intérieur qui prévoit que : « … l’associé de catégorie A ne dispose d’aucun droit sur les réserves. La cession de ses titres au nominal est une des conditions essentielles et déterminantes de son entrée dans l’association. »
Selon cette clause, la valeur des actions ne tient compte ni de la valeur du fonds libéral, ni des capitaux propres. Il ne s’agit donc pas d’une simple clause de dépatrimonialisation[[1]], mais d’une disposition beaucoup plus radicale, d’autant que la valeur réelle de la société serait selon les demandeurs, de plus de 21 millions d’euros.
En première instance, le délégué du bâtonnier de Paris avait considéré cette stipulation inapplicable en dehors des cas de départ volontaire, et avait fait droit aux demandes. La Cour d’appel infirme et considère, sur l’autel de la force obligatoire du contrat, que la fixation à la valeur nominale est parfaitement valide : « si il n’est pas contesté que la valeur réelle des titres de la SELAS est beaucoup plus élevée que leur valeur nominale, force est de constater que les associés partants, juristes particulièrement expérimentés, ont accepté en pleine connaissance de cause la valorisation des parts à ce montant comme un des éléments déterminants de leur entrée dans la société… ».
La solution repose donc essentiellement sur une « loi des parties » renforcée, s’agissant de juristes expérimentés qui n’ont pas pu se méprendre sur le sens de leurs engagements.
Le pourvoi, alors formé par les associés exclus, est intéressant.
Il s’appuie sur les dispositions de dépatrimonialisation prévues par l’article 10 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, en soutenant qu’il n’est possible de fixer librement les modalités de détermination de la valeur des parts sociales que dans la situation d’une cession volontaire[[2]].
Or, selon le moyen, dès lors qu’il s’agit d’une cession forcée, l’article 10 est inapplicable, les actions n’ont pas pu être dépatrimonialisées, et la cour d’appel a statué en violation de ces dispositions.
La Cour de Cassation rejette sèchement le moyen, considérant que la Cour d’appel a « exactement énoncé que rien n’interdisait à la SELAS d’adopter des dispositions statutaires prévoyant la détermination de la valeur des parts à leur valeur nominale et non réelle ».
Cette décision a le mérite de la clarté : on peut donc faire ce que l’on veut.
Mais on reste cependant sur sa faim. A quoi sert en effet l’article 10 précité ? Ce texte s’évertue à fixer de strictes conditions pour la dépatrimonialisation. Son premier alinéa permet de fixer la valeur librement, mais seulement dans le cas du refus d’agrément. Son second alinéa s’applique dans tous les cas, mais permet seulement de ne pas tenir compte de la valeur de la clientèle.
En d’autres termes, pour fixer la valeur au nominal, il faut être dans le cas du refus d’agrément, et les demandeurs au pourvoi, qui n’étaient pas dans ce cas, étaient donc dans le vrai.
L’arrêt commenté créé donc une incertitude : les associés sont libres de fixer à leur gré la valeur de leurs titres, mais de quelle liberté s’agit-il si elle crée un risque fiscal ?
Le mécanisme de la dépatrimonialisation étant prévu par la loi, il nous semble opposable à l’administration fiscale qui ne devrait pas pouvoir remettre en cause une valorisation découlant d’une telle clause conforme à l’article 10[[3]].
Mais quid d’une valorisation qui serait fixée si l’on suit la solution adoptée par la Cour de cassation ? Il n’y a pas d’arrêt de règlement en droit français, et chacun connait l’autonomie du droit fiscal. Il y aurait dès lors un risque non négligeable de redressement si in fine l’évaluation faite par les parties paraît inférieure à la valeur vénale des titres.
Les demandeurs, selon la sentence, « soutenaient …le caractère léonin de l’article 11-25 … qui exclut … un quelconque droit sur les réserves …»
Sur l’autel, on l’a dit, de l’engagement renforcé du « juriste expérimenté », la Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a balayé cet argument : la fixation à la valeur nominale est donc valide et la clause qui le prévoit n’est pas léonine.
Or, s’il parait légitime d’utiliser l’article 10, et d’évacuer la valeur de la clientèle, car après tout, les avocats exclus ont sans doute pu, comme dans 99% des séparations, emporter leurs clients, la dépatrimonialisation « extrême » qui résulte de la privation du droit aux réserves nous semble entraîner une rupture d’égalité entre les associés.
Car au final, les associés restants pourront, s’ils le souhaitent, se partager les réserves, dont une partie a été constituée par l’industrie des exclus.
L’article 11-24 prévoyait que « le départ en cours d’exercice d’un associé de catégorie A … entraînera renonciation immédiate et irrévocable à tout complément de rémunération variable au titre de l’exercice en cours… ». Il s’agissait pour les exclus d’une clause pour le moins rigoureuse.
En première instance, le bâtonnier avait annulé les conséquences de ce texte, sans le reconnaitre léonin. La cour d’appel confirme cette solution, mais estime la clause léonine : « la clause prévoyant la renonciation par avance à percevoir toute rémunération variable, ce en toute hypothèse même en cas de résultat définitif positif, apparaît présenter un caractère léonin puisqu’elle conduit à priver en toute hypothèse les partants de toute rémunération variable au seul profit des associés restants[[4]]».
Un second alinéa permettait la remise en cause des rémunérations variables de l’année précédente, mais, selon la Cour, « … cette clause n’apparaît pas frappée de nullité, rien n’interdisant de revenir sur le montant d’une rémunération variable déjà votée ».
Cela ne peut toutefois se concevoir que « dans des hypothèses alternatives limitativement prévues et précisément énumérées… ».
Un argument fort intéressant était proposé par les demandeurs, qui soutenaient que ces règles constituaient ensemble une sanction pécuniaire de nature à dissuader l’associé souhaitant quitter la structure de le faire, et portant atteinte au principe de la liberté d’exercice de l’avocat.
Sur le même fondement du consensualisme, la Cour d’appel fait litière de ce principe si cher aux avocats : « … rien n’interdit dans une SELAS d’adopter ces dispositions … qui font la loi des parties ; que ces règles ne constituaient en rien un obstacle à la liberté d’établissement[[5]] ».
Quant à la Cour de cassation, elle n’évoque même pas le sujet.
Il aurait pourtant été intéressant de connaître son avis sur cette confrontation liberté d’exercice versus engagement contractuel de l’avocat.
Rappelons que la Cour (Cass. civ. 1ère 12 déc. 2018, 17-12.467)[[6]] a déjà évoqué cette question de la liberté d’exercice, en cassant l’arrêt qui avait autorisé le retrait « justifié par la nécessité de permettre à [l’avocate] … de pouvoir assurer cette activité libérale dans le cadre d'une autre structure, en vertu de la liberté d'établissement[[7]]. »
Il restera une autre confrontation à trancher : en présence d’une clause d’exclusivité statutaire, très fréquente en pratique, l’avocat qui entend exercer dans une autre structure ne risque-t-il pas de se le voir interdire, nonobstant la liberté d’exercice, puisqu’il ne peut pas se retirer[[8]], qu’il est donc toujours associé de son ancienne structure et dès lors toujours tenu à l’exclusivité statutaire ?
Le pourvoi portait donc notamment sur la question de savoir si les dispositions statutaires d’une société d’exercice libéral par actions simplifiées peuvent décider valablement que les actions de l’associé sortant seront valorisées à leur valeur nominale, et non à leur valeur réelle, même en cas de sortie non volontaire dudit associé.
De cet arrêt, et de l’arrêt attaqué (Paris, 12 février 2020, n° 2018/15568), on peut tirer quatre enseignements : les statuts peuvent décider librement de la valeur des actions, ce qui nous semble faire fi de certaines considérations fiscales (1) ; la clause qui fixe la valeur des titres d’une société, en cas de départ même forcé d’un associé, à la valeur nominale n’est pas léonine, ce qui, de notre point de vue, est contestable (2) ; il est possible de remettre en cause des rémunérations antérieurement votées sous certaines conditions (3). On verra enfin que ces juridictions font peu de cas de la liberté d’exercice de l’avocat, qui était invoquée au soutien des demandes (4).
- Sur la validité de la clause fixant la valeur des actions à la valeur nominale
Selon cette clause, la valeur des actions ne tient compte ni de la valeur du fonds libéral, ni des capitaux propres. Il ne s’agit donc pas d’une simple clause de dépatrimonialisation[[1]], mais d’une disposition beaucoup plus radicale, d’autant que la valeur réelle de la société serait selon les demandeurs, de plus de 21 millions d’euros.
En première instance, le délégué du bâtonnier de Paris avait considéré cette stipulation inapplicable en dehors des cas de départ volontaire, et avait fait droit aux demandes. La Cour d’appel infirme et considère, sur l’autel de la force obligatoire du contrat, que la fixation à la valeur nominale est parfaitement valide : « si il n’est pas contesté que la valeur réelle des titres de la SELAS est beaucoup plus élevée que leur valeur nominale, force est de constater que les associés partants, juristes particulièrement expérimentés, ont accepté en pleine connaissance de cause la valorisation des parts à ce montant comme un des éléments déterminants de leur entrée dans la société… ».
La solution repose donc essentiellement sur une « loi des parties » renforcée, s’agissant de juristes expérimentés qui n’ont pas pu se méprendre sur le sens de leurs engagements.
Le pourvoi, alors formé par les associés exclus, est intéressant.
Il s’appuie sur les dispositions de dépatrimonialisation prévues par l’article 10 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, en soutenant qu’il n’est possible de fixer librement les modalités de détermination de la valeur des parts sociales que dans la situation d’une cession volontaire[[2]].
Or, selon le moyen, dès lors qu’il s’agit d’une cession forcée, l’article 10 est inapplicable, les actions n’ont pas pu être dépatrimonialisées, et la cour d’appel a statué en violation de ces dispositions.
La Cour de Cassation rejette sèchement le moyen, considérant que la Cour d’appel a « exactement énoncé que rien n’interdisait à la SELAS d’adopter des dispositions statutaires prévoyant la détermination de la valeur des parts à leur valeur nominale et non réelle ».
Cette décision a le mérite de la clarté : on peut donc faire ce que l’on veut.
Mais on reste cependant sur sa faim. A quoi sert en effet l’article 10 précité ? Ce texte s’évertue à fixer de strictes conditions pour la dépatrimonialisation. Son premier alinéa permet de fixer la valeur librement, mais seulement dans le cas du refus d’agrément. Son second alinéa s’applique dans tous les cas, mais permet seulement de ne pas tenir compte de la valeur de la clientèle.
En d’autres termes, pour fixer la valeur au nominal, il faut être dans le cas du refus d’agrément, et les demandeurs au pourvoi, qui n’étaient pas dans ce cas, étaient donc dans le vrai.
L’arrêt commenté créé donc une incertitude : les associés sont libres de fixer à leur gré la valeur de leurs titres, mais de quelle liberté s’agit-il si elle crée un risque fiscal ?
Le mécanisme de la dépatrimonialisation étant prévu par la loi, il nous semble opposable à l’administration fiscale qui ne devrait pas pouvoir remettre en cause une valorisation découlant d’une telle clause conforme à l’article 10[[3]].
Mais quid d’une valorisation qui serait fixée si l’on suit la solution adoptée par la Cour de cassation ? Il n’y a pas d’arrêt de règlement en droit français, et chacun connait l’autonomie du droit fiscal. Il y aurait dès lors un risque non négligeable de redressement si in fine l’évaluation faite par les parties paraît inférieure à la valeur vénale des titres.
- La clause qui fixe la valeur des titres d’une société à la valeur nominale n’est pas léonine, même en cas de départ forcé d’un associé
Les demandeurs, selon la sentence, « soutenaient …le caractère léonin de l’article 11-25 … qui exclut … un quelconque droit sur les réserves …»
Sur l’autel, on l’a dit, de l’engagement renforcé du « juriste expérimenté », la Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a balayé cet argument : la fixation à la valeur nominale est donc valide et la clause qui le prévoit n’est pas léonine.
Or, s’il parait légitime d’utiliser l’article 10, et d’évacuer la valeur de la clientèle, car après tout, les avocats exclus ont sans doute pu, comme dans 99% des séparations, emporter leurs clients, la dépatrimonialisation « extrême » qui résulte de la privation du droit aux réserves nous semble entraîner une rupture d’égalité entre les associés.
Car au final, les associés restants pourront, s’ils le souhaitent, se partager les réserves, dont une partie a été constituée par l’industrie des exclus.
- Sur la remise en cause a posteriori des rémunérations variables
L’article 11-24 prévoyait que « le départ en cours d’exercice d’un associé de catégorie A … entraînera renonciation immédiate et irrévocable à tout complément de rémunération variable au titre de l’exercice en cours… ». Il s’agissait pour les exclus d’une clause pour le moins rigoureuse.
En première instance, le bâtonnier avait annulé les conséquences de ce texte, sans le reconnaitre léonin. La cour d’appel confirme cette solution, mais estime la clause léonine : « la clause prévoyant la renonciation par avance à percevoir toute rémunération variable, ce en toute hypothèse même en cas de résultat définitif positif, apparaît présenter un caractère léonin puisqu’elle conduit à priver en toute hypothèse les partants de toute rémunération variable au seul profit des associés restants[[4]]».
Un second alinéa permettait la remise en cause des rémunérations variables de l’année précédente, mais, selon la Cour, « … cette clause n’apparaît pas frappée de nullité, rien n’interdisant de revenir sur le montant d’une rémunération variable déjà votée ».
Cela ne peut toutefois se concevoir que « dans des hypothèses alternatives limitativement prévues et précisément énumérées… ».
- Sur la liberté d’exercice
Un argument fort intéressant était proposé par les demandeurs, qui soutenaient que ces règles constituaient ensemble une sanction pécuniaire de nature à dissuader l’associé souhaitant quitter la structure de le faire, et portant atteinte au principe de la liberté d’exercice de l’avocat.
Sur le même fondement du consensualisme, la Cour d’appel fait litière de ce principe si cher aux avocats : « … rien n’interdit dans une SELAS d’adopter ces dispositions … qui font la loi des parties ; que ces règles ne constituaient en rien un obstacle à la liberté d’établissement[[5]] ».
Quant à la Cour de cassation, elle n’évoque même pas le sujet.
Il aurait pourtant été intéressant de connaître son avis sur cette confrontation liberté d’exercice versus engagement contractuel de l’avocat.
Rappelons que la Cour (Cass. civ. 1ère 12 déc. 2018, 17-12.467)[[6]] a déjà évoqué cette question de la liberté d’exercice, en cassant l’arrêt qui avait autorisé le retrait « justifié par la nécessité de permettre à [l’avocate] … de pouvoir assurer cette activité libérale dans le cadre d'une autre structure, en vertu de la liberté d'établissement[[7]]. »
Il restera une autre confrontation à trancher : en présence d’une clause d’exclusivité statutaire, très fréquente en pratique, l’avocat qui entend exercer dans une autre structure ne risque-t-il pas de se le voir interdire, nonobstant la liberté d’exercice, puisqu’il ne peut pas se retirer[[8]], qu’il est donc toujours associé de son ancienne structure et dès lors toujours tenu à l’exclusivité statutaire ?
[[1]] Prévue par l’article 10 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990
[[2]] Précisément, ce texte permet de fixer la valeur des parts au gré des associés dans le seul cas du refus d'agrément, lequel fait suite bien à une proposition – volontaire donc - de cession
[[3]] [3] A noter toutefois que l’administration ne s’est jamais prononcée sur ce sujet
[[4]] Cette expression « au seul profit des associés restants » aurait pu être utilisée tout aussi bien à propos de l’article 11-25 évoqué au paragraphe précédent
[[5]] A noter la confusion : la sentence évoquait le principe de « la libre installation de l’avocat », mais l’arrêt d’appel celui du « libre établissement ». La liberté d’établissement est une règle de droit européen et il s’agit ici de la liberté d’exercice, déclinaison libérale du principe de la liberté du commerce et de l’industrie
[[6]] Cf. notre commentaire : https://www.parabellum.pro/Fin-du-droit-de-retrait-une-explosion-atomique-pour-commencer-2019_a805.html
[[7]]encore une fois mal dénommée, cette fois par la Cour de cassation
[[8]] A noter que dans le cadre de la réforme de la loi du 31 décembre 1990, lancée par les pouvoirs publics, le Conseil national des barreaux a demandé l’introduction du retrait capitalistique dans la loi