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Droit de retrait de l'associé : Quel fondement ?


Rédigé par Philippe Touzet le Mardi 10 Novembre 2015

Le retrait d’associé est un mécanisme singulier, permettant à un associé en capital de décider unilatéralement de sortir du capital de la société, et par conséquent de contraindre les associés à racheter ses titres ou à réduire le capital de la société.



Le droit de retrait de l’associé est institué dans toutes les sociétés civiles par le Code civil [1] et spécifiquement pour les sociétés civiles professionnelles, par l’article 18 de la loi du 29 novembre 1966. Il est également prévu pour les sociétés à capital variable [2] , les GAEC [3] , et les GIE [4] .
 
On sait que le droit de retrait est d’ordre public dans les SCP et seulement facultatif dans les sociétés d’exercices libéral (SEL), dans lesquelles sa mise en œuvre nécessite l’insertion préalable d’une clause dans les statuts, calquant plus ou moins bien le régime légal des SCP.
 
Dans les SEL, quel fondement textuel ? Dans ce type de structures, le fondement légal du droit de retrait est plus obscur, aucun texte ne l’autorisant expressément. Certes, l’article 11 de la loi du 31 décembre 1990, sans l’instituer expressément, en prévoyait les conséquences, mais pour les officiers publics et ministériels [5] seulement, et ce texte a été abrogé par la loi n°2015-990 du 6 août 2015 dite loi « Macron [6] ». Le doute est tel que le Professeur Bernard Saintourens, dans son étude « Retrait d’un associé », évoque désormais les sociétés d’exercice libéral parmi les structures habilitées, sans donner la moindre référence légale [7] .
 
De même, l’article 14 du décret du 25 mars 1993 prévoit que : « l’associé démissionnaire ou radié… dispose d’un délai de six mois à compter du jour soit de l’acceptation de sa démission soit de celui où sa radiation est devenue définitive pour céder ses actions ou parts sociales à un tiers en vue de l’exercice de la profession au sein de la société, à la société ou à d’autres associés. » Malgré la position d’un auteur [8] , qui semble considérer ce texte applicable au retrait volontaire, il nous semble que la démission au sens de ce texte doit s’interpréter comme la démission du barreau, et non pas seulement comme le retrait d’exercice.
 
Un auteur estime par conséquent que le retrait dans les SEL n’a aucun fondement [9] . On peut cependant le trouver, très indirectement, dans le dernier alinéa de l’article L.223-34 du code de commerce, applicable aux SARL, et également aux SELARL, qui prévoit que : « L’achat de ses propres parts par une société est interdit. Toutefois, l’assemblée qui a décidé une réduction du capital non motivé par des pertes peut autoriser le gérant à acheter un nombre déterminé de parts sociales pour les annuler. » La doctrine considère en conséquence que « ces dispositions sont notamment applicables lorsqu’un associé désire se retirer de la société et que ses coassociés refusent à la fois d’agréer l’acquéreur proposé et de racheter ou de faire racheter par un tiers les parts la cession est envisagée [10]. »
 
Pour les SELAS, on trouve des dispositions similaires par combinaison des  articles L 225-207 du code de commerce, qui permet le rachat en vue de l’annulation et L 227-1, qui permet quant à lui l’application de l’article L 225-207 aux SAS. 
 
Enfin, la loi « Macron » qui vient de libéraliser l’utilisation des structures de droit commun par les libéraux [11] , jusqu’alors tenus d’utiliser les SEL, ne prévoit aucune disposition spécifique au retrait. Le fondement de ce droit étant le seul article L 223-39 précité, il devrait être possible de stipuler dans les SARL, et dans les SAS, comme dans les SEL du même type, une telle clause.
 
En pratique, on trouve cette clause dans la plupart des statuts de SEL d’avocats. Sans doute est-ce la force de l’habitude héritée d’une longue tradition des SCP.
 
Mais il est évidemment parfaitement possible, a contrario, que les statuts d’une SEL (et désormais d’une société de droit commun) ne comprennent pas de clause de retrait. Dans ce cas, il faut rappeler que d’un point de vue déontologique, un avocat ne peut jamais être contraint d’exercer là où il ne le souhaite plus [12] et peut toujours partir, sous la seule réserve d’un délai de 6 mois[13] . Si la structure dont il est membre le prévoit, le « retrait d’exercice » entraînera en principe le « retrait capitalistique ». Dans le cas contraire, l’avocat peut exercer dans une autre structure, et se trouve de facto associé non exerçant dans sa structure d’origine, sans réelle possibilité de rendre liquide sa participation, sauf à mettre en œuvre la procédure d’agrément, ou à agir en contentieux, plusieurs actions étant alors envisageables selon l’espèce.
 
Reste, dans les sociétés de capitaux, la question de l’opportunité de l’insertion d’une telle clause. Dans la profession d’avocat, les conflits de personnalités sont fréquents et donnent lieu à de nombreux mouvements d’associés. Or, le droit de retrait est la cause principale des difficultés liées à la patrimonialité, dont les conséquences peuvent être désastreuses pour la structure.
 
[1] Articles 1851 alinéa 3, et 1869
[2] C. com. art. L 231-6
[3] Loi du 8 août 1962, art. 1er et décret du 3 décembre 1964, art. 23
[4] C. com. art. L 251-9 al. 2
[5] « Sous réserve des dispositions de l'article 3 de l'ordonnance du 10 septembre 1817, l'officier public ou ministériel qui, en raison d'une mésentente entre associés, se retire de la société au sein de laquelle il exerce, peut solliciter sa nomination à un office créé à cet effet à la même résidence dans des conditions prévues par le décret particulier à chaque profession… »
[6] Article 67
[7] B. Saintourens, « Retrait d’un associé », éditions Francis Lefebvre, n°1
[8]  Bastien Brignon, Société d'exercice libéral d'avocats, jurisclasseur sociétés traité, n° 80
[9] Marie-Hélène Monsérié-Bon, Droit et Patrimoine, 2011, p. 207
[10] Mémento pratique Droit des sociétés, éd. Francis Lefebvre, n° 33060 et 33061
[11] Ibid. article 6, qui a modifié l’article 7 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 : « L'avocat peut exercer sa profession soit à titre individuel, soit au sein d'une association dont la responsabilité des membres peut être, dans des conditions définies par décret, limitée aux membres de l'association ayant accompli l'acte professionnel en cause, soit au sein d'entités dotées de la personnalité morale, à l'exception des formes juridiques qui confèrent à leurs associés la qualité de commerçant, …. »
[12] Au nom de la « liberté d’exercice », déclinaison libérale du principe constitutionnel de liberté du commerce et de l’industrie
[13] Pour Paris, ce délai est réglementé par l’article P46-3 du RIBP. Il n'existe pas de dispositions équivalentes dans le règlement intérieur national








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