Cet article n’a pas pour objet de savoir quels sont les critères de la valorisation. Sur un tel sujet d’espèce, les écarts entre les décisions sont normaux. Il s’agit de savoir si le principe même de la valorisation est ou non retenu ; ou en d’autres termes s’il est admis ou non qu’un professionnel emporte sa clientèle, ses dossiers, le chiffre d’affaires y relatif, sans contrepartie.
La clientèle d’avocat a bien une valeur, qui doit indéniablement être prise en compte dans les opérations de gré à gré. Mais la question de cette valeur, dans l’hypothèse d’un emport de clientèle, est clairement posée en jurisprudence et la réponse n’est pas simple.
En effet, si la jurisprudence fiscale reconnaît sans la moindre hésitation que la clientèle constitue un actif social, la jurisprudence civile est hésitante et contradictoire en ce qui concerne la prise en compte de cette même clientèle comme valeur patrimoniale dans les litiges entre professionnels.
Nos cabinets sont des entreprises presque comme les autres et nos confrères, au-delà de leurs fonctions de conseil et de défense, sont également des chefs d'entreprise, et peuvent se trouver à la tête d'un patrimoine professionnel.
La notion de patrimonialité de la clientèle est pourtant discutée dans la profession, dans son opportunité, et même dans son existence.
En opportunité en premier lieu : en effet, pour certains, la patrimonialité serait une cause de mésentente et donc de fragilité du cabinet, faisant peser sur lui un risque de pérennité. On donne en exemple contraire les structures d’origine anglo-saxonne, qui seraient non patrimoniales, et par conséquent plus solides[[1]]. Dans son existence en second lieu : certains vont en effet jusqu’à contester la notion même de patrimonialité du cabinet ; les clients étant volages, il ne serait pas possible constater l’existence d’un fonds libéral, et donc d’en calculer la valeur.
À ces deux arguments, il y a des contre arguments. Tout d’abord, les structures anglo-saxonnes sont beaucoup plus anciennes pour des raisons réglementaires, et pas seulement en raison de leur nature. Ensuite, il y a bien des clientèles commerciales frappées du même intuitu personae, de la même fragilité, et cela n’empêche pas de constater l’existence d’un fonds de commerce. D’ailleurs, en bon sens, la clientèle d’une brasserie est-elle moins volage que celle d’un avocat ? Appartient-elle plus ou mieux au restaurateur qu’à l’avocat ? À l’évidence, non.
Ce n’est donc pas le bon critère : la discussion sur l’existence d’une patrimonialité tient surtout, dans notre profession, à la coexistence de deux types de structures, dont certaines ne sont pas patrimoniales. En effet, une grande partie de la profession exerce dans le cadre d’une association ou AARPI, lesquelles n’ont pas de patrimoine, puisqu’elles n’ont pas de personnalité morale. C’est en outre le modèle qui a montré le plus d’efficacité en termes de développement des cabinets de grande taille, d’où la tentation de soutenir que la patrimonialité serait contraire à l’essence même de la profession.
À l’évidence, il n’en est rien. On sait que dans les AARPI, soit la clientèle reste la propriété individuelle des associés, soit elle est placée en indivision. C’est donc bien que ce droit de propriété préexiste et est maintenu, malgré le contrat d’association.
Du point de vue de la jurisprudence fiscale, il n’y a aucun doute.
Cette jurisprudence considère invariablement qu’un fonds libéral a une valeur patrimoniale, et elle taxe sans hésitation les plus-values et les droits de mutation sur les opérations de gré à gré, cessions, restructurations etc. qui ont lieu sur ces clientèles.
On citera notamment l’arrêt du conseil d’État du 20 décembre 2013 (Décision nº 349787), qui à la suite de la transformation d’une société de fait en SCP, a validé la décision de la cour d’appel administrative qui avait estimé la valeur du fonds libéral à 75 % du chiffre d’affaires annuel, après que le tribunal administratif l’avait établie quant à lui à 100 % du chiffre d’affaires.
C’est la seule décision, à notre connaissance, qui procède à l’évaluation chiffrée d’une clientèle d’avocat. Il s’agit indéniablement d’une décision de référence dont il doit être tenu compte dans tout mouvement de clientèle, en particulier lorsqu’il n’y a pas de transmission à un tiers.
On verra, dans l’article ci-dessous consacré à l’analyse de la jurisprudence civile, que la situation est loin d’être aussi claire dans l’hypothèse d’un contentieux entre associés, en particulier lors du départ d’un associé suivi d’un emport de ses dossiers et de ses clients.
La clientèle d’avocat a bien une valeur, qui doit indéniablement être prise en compte dans les opérations de gré à gré. Mais la question de cette valeur, dans l’hypothèse d’un emport de clientèle, est clairement posée en jurisprudence et la réponse n’est pas simple.
En effet, si la jurisprudence fiscale reconnaît sans la moindre hésitation que la clientèle constitue un actif social, la jurisprudence civile est hésitante et contradictoire en ce qui concerne la prise en compte de cette même clientèle comme valeur patrimoniale dans les litiges entre professionnels.
Nos cabinets sont des entreprises presque comme les autres et nos confrères, au-delà de leurs fonctions de conseil et de défense, sont également des chefs d'entreprise, et peuvent se trouver à la tête d'un patrimoine professionnel.
La notion de patrimonialité de la clientèle est pourtant discutée dans la profession, dans son opportunité, et même dans son existence.
En opportunité en premier lieu : en effet, pour certains, la patrimonialité serait une cause de mésentente et donc de fragilité du cabinet, faisant peser sur lui un risque de pérennité. On donne en exemple contraire les structures d’origine anglo-saxonne, qui seraient non patrimoniales, et par conséquent plus solides[[1]]. Dans son existence en second lieu : certains vont en effet jusqu’à contester la notion même de patrimonialité du cabinet ; les clients étant volages, il ne serait pas possible constater l’existence d’un fonds libéral, et donc d’en calculer la valeur.
À ces deux arguments, il y a des contre arguments. Tout d’abord, les structures anglo-saxonnes sont beaucoup plus anciennes pour des raisons réglementaires, et pas seulement en raison de leur nature. Ensuite, il y a bien des clientèles commerciales frappées du même intuitu personae, de la même fragilité, et cela n’empêche pas de constater l’existence d’un fonds de commerce. D’ailleurs, en bon sens, la clientèle d’une brasserie est-elle moins volage que celle d’un avocat ? Appartient-elle plus ou mieux au restaurateur qu’à l’avocat ? À l’évidence, non.
Ce n’est donc pas le bon critère : la discussion sur l’existence d’une patrimonialité tient surtout, dans notre profession, à la coexistence de deux types de structures, dont certaines ne sont pas patrimoniales. En effet, une grande partie de la profession exerce dans le cadre d’une association ou AARPI, lesquelles n’ont pas de patrimoine, puisqu’elles n’ont pas de personnalité morale. C’est en outre le modèle qui a montré le plus d’efficacité en termes de développement des cabinets de grande taille, d’où la tentation de soutenir que la patrimonialité serait contraire à l’essence même de la profession.
À l’évidence, il n’en est rien. On sait que dans les AARPI, soit la clientèle reste la propriété individuelle des associés, soit elle est placée en indivision. C’est donc bien que ce droit de propriété préexiste et est maintenu, malgré le contrat d’association.
Du point de vue de la jurisprudence fiscale, il n’y a aucun doute.
Cette jurisprudence considère invariablement qu’un fonds libéral a une valeur patrimoniale, et elle taxe sans hésitation les plus-values et les droits de mutation sur les opérations de gré à gré, cessions, restructurations etc. qui ont lieu sur ces clientèles.
On citera notamment l’arrêt du conseil d’État du 20 décembre 2013 (Décision nº 349787), qui à la suite de la transformation d’une société de fait en SCP, a validé la décision de la cour d’appel administrative qui avait estimé la valeur du fonds libéral à 75 % du chiffre d’affaires annuel, après que le tribunal administratif l’avait établie quant à lui à 100 % du chiffre d’affaires.
C’est la seule décision, à notre connaissance, qui procède à l’évaluation chiffrée d’une clientèle d’avocat. Il s’agit indéniablement d’une décision de référence dont il doit être tenu compte dans tout mouvement de clientèle, en particulier lorsqu’il n’y a pas de transmission à un tiers.
On verra, dans l’article ci-dessous consacré à l’analyse de la jurisprudence civile, que la situation est loin d’être aussi claire dans l’hypothèse d’un contentieux entre associés, en particulier lors du départ d’un associé suivi d’un emport de ses dossiers et de ses clients.
[[1]] C’est même cette réflexion qui a conduit à l’insertion dans la loi de 1966 pour les SCP et dans la loi de 1990 pour les SEL du dispositif de dépatrimonialisation, respectivement en 2011 et 2012. Le législateur, en personne, à l’époque, du Sénateur Philippe Marini, promoteur de ces textes, a clairement souligné que l’objectif de cette réforme était l’amélioration de la pérennité des structures françaises dans le contexte plus général de la lutte entre les deux systèmes juridiques de Code civil et de Common Law.