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Covid-19 : une application pratique de la force majeure


Rédigé par Philippe Touzet et Maya Dami le Lundi 6 Avril 2020

Depuis l’apparition en décembre 2019 d’une nouvelle forme de coronavirus à Wuhan, en Chine, l’épidémie s’est répandue dans le monde entier conduisant l’OMS à la qualifier de pandémie. Désormais, un tiers de la population mondiale est confinée afin d’en limiter la propagation, ce qui entraîne une baisse massive de la productivité et l’impossibilité de poursuivre certaines activités. La force majeure pourra-t-elle être invoquée pour minimiser l’impact juridique de la pandémie ? La période post déconfinement sera pour nombre des juristes actuels l’occasion de traiter une telle question, jusqu’alors le plus souvent théorique et universitaire, pour la première fois au plan pratique.



Depuis la réforme du droit des obligations de 2016, l’article 1218 du Code civil dispose : 
 
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
 
« Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. ».
 
La nouvelle rédaction du Code civil ne modifie pas la notion : il y a force majeure lorsque les trois critères classiques sont réunis : extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité, étant rappelé qu’en cas de litige, le contrôle de l’existence du cas de force majeure invoqué relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
 
1. La force majeure et le contrat
 
Rappelons tout d’abord que la force majeure ne se décrète pas. C’est un moyen juridique, employé par une partie défaillante au contrat, qui lui permet, si la force majeure est admise, de ne pas subir les conséquences de son inexécution.
 
En ce qui concerne les marchés publics de l’Etat, le ministre de l’Economie et des Finances a déclaré que le Covid-19 sera considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises. Ainsi, aucune pénalité ne sera appliquée en cas de retard de livraison. Même si cette déclaration n’a aucun impact juridique sur les relations interentreprises, elle constitue un indicateur appuyant la thèse de la force majeure.
 
La qualification de force majeure peut être délicate dans certains secteurs tels que celui de l’assurance. En raison de la nature des contrats d’assurance, il semble difficile d’envisager que l’on puisse considérer l’épidémie comme un cas de force majeure permettant à l’assureur de se libérer de son obligation : l’assureur accepte par nature de couvrir des risques. De plus, dans la plupart des cas, ces contrats imposent un paiement et son exécution n’est donc pas impossible pour l’assureur.
 
En droit du travail, l’épidémie de Covid-19 n’est pas un motif de licenciement lorsque le salarié est en CDI. Il ne restera à l’employeur que le licenciement économique, si la pandémie entraîne pour lui des conséquences suffisamment graves. En matière de CDD, la force majeure est l’un des cas de rupture du CDD, sous réserve bien sûr, de la validation de cette notion au cas par cas par le juge du fond.
 
2. Qualification de la force majeure : que dit la jurisprudence ?
 
La maladie (au sens de la maladie de débiteur), tout d’abord, peut constituer un cas de force majeure.
 
Dans ce sens, il faut citer un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 14 avril 2006[[1]] qui l’a admis dans les circonstances suivantes, relevées par l’arrêt : « M. X... a commandé à M. Y... une machine spécialement conçue pour les besoins de son activité professionnelle ; qu'en raison de l'état de santé de ce dernier, les parties sont convenues d'une nouvelle date de livraison qui n'a pas été respectée ; que les examens médicaux qu'il a subis ont révélé l'existence d'un cancer des suites duquel il est décédé quelques mois plus tard sans que la machine ait été livrée ; que M. X... a fait assigner les consorts Y..., héritiers du défunt, en résolution du contrat et en paiement de dommages-intérêts. »
 
La motivation du rejet est limpide : « Mais attendu qu'il n'y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ; qu'il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d'exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d'un cas de force majeure ; qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que seul Michel Y... était en mesure de réaliser la machine et qu'il s'en était trouvé empêché par son incapacité temporaire partielle puis par la maladie ayant entraîné son décès, que l'incapacité physique résultant de l'infection et de la maladie grave survenues après la conclusion du contrat présentait un caractère imprévisible et que la chronologie des faits ainsi que les attestations relatant la dégradation brutale de son état de santé faisaient la preuve d'une maladie irrésistible, la cour d'appel a décidé à bon droit que ces circonstances étaient constitutives d'un cas de force majeure ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches »;
 
Par conséquent, on peut considérer qu’un malade du Covid 19 qui n’aurait pas pu exécuter sa prestation dans les temps, ne pourra pas se le voir reprocher. S’il guérit, le contrat aura été suspendu. S’il décède, il sera résolu de plein droit conformément aux dispositions de l’article 1218 précité.
 
Et quid de la jurisprudence relative à d’autres épidémies ?
 
Les solutions sont hétérogènes.
 
On relèvera tout d’abord un arrêt de la Cour d’appel de Basse-terre en date du 17 décembre 2018[[2]] qui a refusé de considérer la présence du virus chikungunya dans un hôtel comme un cas de force majeure, estimant que cette maladie est généralement surmontable : l’imprévisibilité et l’irrésistibilité n’étaient pas réunies.
 
La Cour d’appel de Nancy, le 22 novembre 2010[[3]] a adopté la même solution pour la dengue en Martinique.
 
Dans l’hypothèse d’un confinement, on trouve encore la même solution, prononcée par la Cour d’appel de Toulouse le 3 octobre 2019[[4]]. Il s’agissait d’une espèce relative au confinement d’animaux en raison de la grippe aviaire dans laquelle les juges ont considéré que l’impact du confinement sur les résultats de l’exploitation n’établissait pas qu’il présentait un caractère insurmontable et irrésistible.
 
Dans le cas du Covid-19, il faut nuancer ces solutions, tant sont importantes la virulence de ce nouveau virus et les mesures drastiques sans précédent mises en place afin de l’endiguer, outre le fait que justement, au regard de ces arrêts, le traitement, du Covid-19 n’est pas connu, de sorte qu’il est vraisemblable que les juges du fond optent pour une position différente et admettent la force majeure.
 
3. Premières décisions concernant le Covid-19
 
Nous avons pu relever une espèce, extrêmement récente, relative au Covid-19, qui admet la force majeure au bénéfice d’un transporteur aérien (Douai, 5 mars 2020[[5]]) : « Le vol prévu pour le 9 mars 2020 vers l'Italie a été annulé par les autorités italiennes en raison des évènements sanitaires liés au coronavirus. Il s'agit d'une circonstance de force majeure qui n'est pas imputable au défaut de diligence de l’administration. ».
 
Ou encore l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar qui vient d’admettre la qualification de force majeure de l’épidémie de Covid 19[[6]]. Le professeur Luc Grynbaum expose sur le « blog du coronavirus » du Club des Juristes que : « Saisie à propos de la rétention administrative d’une personne frappée par cette mesure elle n’a pas pu le faire en sa présence.  En effet, cette dernière avait été en contact avec des personnels susceptibles d’être infectées par le virus COVID -19. Aussi la cour relève-t-elle que : « ces circonstances exceptionnelles, entraînant l’absence de M.  G. à l’audience de ce jour revêtent le caractère de la force majeure, étant extérieures, imprévisibles et irrésistibles, vu le délai imposé pour statuer et le fait que, dans ce délai, il ne sera pas possible de s’assurer de l’absence de risque de contagion et de disposer d’une escorte autorisée à conduire M. G. à l’audience. ».
 
4. La théorie de l’imprévision : une alternative envisageable
 
L’imprévision est codifiée à l’article 1195 du code civil qui dispose que :
 
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
 
« En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. ».
 
L’imprévision est donc applicable lorsqu’il y a un changement de circonstances imprévisible rendant l’exécution du contrat excessivement onéreuse. A la différence de la force majeure, il n’est pas impossible d’exécuter le contrat, mais son exécution est préjudiciable.
 
Il ne faudra donc pas omettre ce moyen, à condition toutefois que le contrat ne l’ait pas écarté, puisque, on le rappelle, cette disposition n’est pas d’ordre public.
 
[[1]] Cass., ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168
[[2]] Cour d'appel de Basse‐Terre, 1re ch. civile, 17 déc. 2018, n° 17/00739
[[3]] Cour d'appel de Nancy, 1re ch. civile, 22 nov. 2010, n° 09/00003
[[4]] Cour d’appel de Toulouse, 3 oct. 2019, n° 19/01579
[[5]] Cour d'appel de Douai - ch. des Libertés Individuelles - 5 mars 2020 - n° 20/00400
[[6]] Cour d'appel de Colmar, 6e ch., 12 mars 2020, n° 20/01098








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