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Avis du 8 juillet 2022 : la Cour de cassation revient à une interprétation plus raisonnable du formalisme encadrant la déclaration d’appel


Rédigé par Mathilde Robert le Jeudi 28 Juillet 2022

On le sait depuis longtemps : les dernières réformes de la procédure d’appel ont principalement été guidées par l’objectif officieux de purger les rôles [[1]] des cours d’appel – juridictions particulièrement encombrées devant lequel les délais d’audiencement atteignent souvent plus de deux ans – en créant de nouvelles causes de nullités ou d’irrecevabilité fondées sur des vices purement formels ou des chausse-trappes procéduraux.



Que le pouvoir réglementaire serve cet objectif, au détriment de l’intérêt du justiciable, est une chose, mais que la plus Haute Cour de l’ordre judiciaire le rejoigne dans cet objectif en est une autre.
 
Or, si la jurisprudence s’était plutôt montrée dans un premier temps plutôt protectrice des intérêts des justiciables en évitant toute surinterprétation des nouvelles règles procédurales introduites par les réformes qui se sont succédées depuis plus de 10 ans, une décision rendue le 13 janvier 2022 par la Cour de cassation (pourvoi n°20-17.516) avait –  à juste titre – ému la profession d'avocat par sa sévérité, et surtout par l’absurdité de ses effets.
 
Un retour en arrière est nécessaire pour le comprendre : tout commence par l’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017, qui a créé un véritable bouleversement dans la procédure d’appel en mettant fin au principe originel de l’ "effet dévolutif total" de l’appel. (https://www.parabellum.pro/La-declaration-d-appel-nouvelle-version-quelle-sanction-en-cas-d-irregularite_a790.html)
 
En effet, avant cette réforme, la partie qui faisait appel le faisait, par défaut, sur la totalité de la décision de première instance, sauf dans l’hypothèse où elle souhaitait limiter son appel à un chef spécifique de jugement, auquel cas elle devait le préciser dans sa déclaration.
 
Depuis la réforme de 2017, le principe est totalement inversé : l’appel est désormais limité aux seuls chefs du jugement sur lesquels la déclaration porte expressément.
 
Cette réforme a donc imposé une nouvelle exigence formelle aux avocats qui rédigent les déclarations d’appel, à savoir celle de lister très précisément l’intégralité des chefs de jugement critiqués, mais également ceux qui auraient été omis par la décision de première instance, tous les autres éléments, non expressément mentionnés dans la déclaration d’appel, étant définitivement considérés comme acceptés - du moins une fois le délai d’appel expiré.
 
S’ajoute à cela la contrainte technique liée à l’obligation de procéder à toute déclaration d’appel de manière électronique, via le réseau privé virtuel avocat (RPVA). Or, comme le savent parfaitement les usagers de cette plateforme, cette dernière est constituée de champs de saisie dont le contenu est limité : en l’occurrence, le champ réservé à l’objet de la déclaration d’appel ne permet pas la saisie de plus 4080 caractères …
 
Evidemment, ces 4080 caractères ne sont pas toujours suffisants pour contenir l’intégralité des chefs de jugement critiqués par l’appelant.
 
Aussi, afin d’éviter toute difficulté, la profession avait pris pour habitude – avec l’aval d’une circulaire du ministère de la justice –  de renseigner l’objet de la déclaration d’appel dans un document annexe, adressé à la cour d’appel en pièce jointe à la déclaration d’appel électronique saisie sur la plate-forme RPVA.
 
Or, dans son arrêt du 13 janvier 2022, la Cour de cassation a décidé de sanctionner cet usage, en considérant que l’annexe ne faisait pas partie de la déclaration d’appel, à moins que sa communication ne soit dument justifiée par un « empêchement technique ».
 
En droit, la solution dégagée laissait perplexe puisqu’aucune disposition procédurale n’interdit expressément l’usage d’annexes (elles mêmes électroniques)  pour compléter la déclaration en ligne, ou n'en limite l’usage aux hypothèses d’empêchement technique.
 
En pratique, l’arrêt de la Cour menait à un résultat totalement absurde, à savoir que suivant que les termes de la déclaration d’appel dépassaient ou non 4080 caractères (c’est-à-dire suivant qu’il y avait ou non, au cas par cas, un « empêchement technique »), l’avocat devait les renseigner via l’espace de saisie dédié à la déclaration d’appel dans la plateforme RPVA; soit les joindre dans une annexe.
 
En cas d’erreur, une sanction couperet : l’absence d’effet dévolutif, c’est-à-dire l’interdiction pour la cour d’appel saisie par la déclaration de se prononcer sur les chefs du jugements critiqués et qui ne sont pas repris « correctement » dans la déclaration d’appel.
 
La décision de la Cour de cassation a donc provoqué un véritable tollé, et une levée de boucliers de la profession via ses instances représentatives. C’est paradoxalement le pouvoir réglementaire qui est venu à son secours en adoptant très rapidement un décret du 25 février 2022 visant à contrer les effets de cette jurisprudence.
 
En effet, ce décret modifie l’article 901 du Code de procédure civile relatif à la déclaration d’appel afin de préciser que la déclaration d'appel est faite par acte  « comportant le cas échéant une annexe » ».
 
L’affaire paraissait donc entendue. C’était sans compter sur les hésitations des avocats, et des magistrats en charge d’examiner la régularité des déclarations d’appel, dont l’atermoiement peut néanmoins être compris face à ces changements successifs.
 
Ainsi, la Cour d’appel de Paris, afin de clarifier définitivement le régime, a adressé une demande d’avis à la Cour de cassation sur l’application de cette nouvelle disposition, en demandant notamment si « la déclaration à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqué constitue l’acte d’appel conforme aux exigences de l’article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, dès lors que la déclaration d’appel mentionne expressément l’existence d’une annexe, et ce même en l’absence d’empêchement technique ? ».
 
Dans l’avis commenté, rendu cette fois après avoir consulté les représentants de la profession d’avocat en qualité d’amicus curiae[[2]] , la Cour de cassation a répondu par l’affirmative à cette question, mettant ainsi un point final au casse-tête du formalisme de la déclaration d’appel… du moins jusqu’à la prochaine réforme.
 
 
[[1]] Le « rôle » est le nom donné au registre dans lequel le greffier porte la liste des affaires qui sont appelées à l'audience de la juridiction compétente pour trancher le litige.

[[2]] L'article 27 du code de procédure civile permet en effet à toute juridiction qui le souhaite d'entendre toutes personnes qui peuvent l'éclairer, « ainsi que celles dont les intérêts risquent d'être affectés par sa décision ».








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