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Amortissement fiscal des fonds commerciaux et libéraux : la douche écossaise


Rédigé par Philippe Touzet et Yann le Serrec le Vendredi 9 Septembre 2022

La loi de finances pour 2022 avait adopté, de façon très inattendue, une mesure exceptionnelle, liée au Covid19, permettant d’amortir fiscalement les fonds commerciaux, sur 10 ans, sans limite de montant et sans conditions. Les libéraux ont dû attendre jusqu’au mois de juin pour se voir confirmer par la doctrine administrative l’inclusion des fonds libéraux dans la mesure. Hélas, deux mois plus tard, la loi de finances rectificative du 16 aout 2022 est venu interdire cet amortissement dans les opérations de restructuration. La mesure reste cependant applicable dans les toutes les opérations de transmission.



La loi de finances pour 2022 (art. 23 de la LOI n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022) a modifié l’article 39 (2°)du code général des impôts, en y introduisant une mesure ayant un caractère exceptionnel, liée à la sauvegarde des entreprises, après la période de pandémie, en permettant l’amortissement des fonds commerciaux, alors que cet amortissement jusqu’alors était impossible, sauf conditions exceptionnelles :
 
« Toutefois, ne sont pas admis en déduction les amortissements des fonds commerciaux.
 
« Par dérogation au deuxième alinéa du présent 2°, sont admis en déduction les amortissements constatés dans la comptabilité des entreprises au titre des fonds commerciaux lorsqu'ils sont acquis à compter du 1er janvier 2022 et jusqu'au 31 décembre 2025. »
 
Le premier alinéa de l’article 23 pose le principe, selon lequel l’amortissement fiscal du fonds commercial n’est pas fiscalement admis, comblant un flou juridique et entérinant la jurisprudence du Conseil d’Etat, qui avait dû statuer sur la question (lire cet arrêt).
 
Le second alinéa de l’article 23 est quant à lui révolutionnaire : sous réserve qu’il soit comptablement amortissable, le fonds commercial acquis entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2025 peut être amorti également sur le plan fiscal.
 
Ainsi, il est possible, sur une durée de 10 années, d’amortir, c’est-à-dire de passer en charge, 1/10 du prix du fonds acquis par l’entreprise. Cette mesure de faveur temporaire a pour objectif, dans le contexte de sortie de la crise liée à l’épidémie de Covid-19, de soutenir la reprise de l’activité économique en réduisant le coût de la reprise d’une entreprise.
 
Dans le texte initial, cette mesure ne comportait aucune limitation, ni en termes de montant, ni en termes de conditions de mise en œuvre, ni en termes de nature de l’opération. Elle a par conséquent induit un grand espoir, notamment chez les libéraux : celui de pouvoir réaliser des opérations de restructuration, par exemple, des opérations d’OBO, en pratiquant l’amortissement du fonds libéral, ce qui facilite évidemment considérablement le financement de ladite opération.
 
Il restait cependant une importante hésitation : l’article 23 de la loi de finances pour 2022 n’évoque en effet que la notion de « fonds commercial », et en outre, les débats parlementaires montraient que l’Assemblée nationale avait refusé sept amendements successifs destinés à ajouter les mots « artisanal » et « libéral », dans la définition des fonds admis en amortissement. Compte tenu de la définition, à l’article 212-3 du plan comptable général (Lire ce texte), de la notion de fonds commercial visée à l’article 23, la question se posait donc de savoir si cette mesure était bien applicable aux fonds libéraux, étant ici rappelé que cela avait été promis par le président de la république lui-même, et que la volonté du gouvernement, à ce titre, avait été réaffirmée pendant les débats à l’Assemblée nationale par le secrétaire d’État aux PME de l’époque, Monsieur Jean-Baptiste Lemoyne.
 
Après six mois d’attente, l’applicabilité du dispositif aux fonds libéraux a été enfin confirmée, en juin 2022, par la doctrine administrative (Lire le BOFIP) :
 
« De même, les titulaires de bénéfices non commerciaux soumis au régime de la déclaration contrôlée peuvent aussi bénéficier, sous conditions, du dispositif temporaire d'amortissement fiscal des fonds commerciaux prévu pour les entreprises imposées dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, en application du troisième alinéa du 2° du 1 de l’article 39 du CGI … ».
 
Cette bonne nouvelle en cachait malheureusement une mauvaise : à l’occasion de la trêve estivale, en plein mois d’août, était promulguée une loi de finances rectificatives, venant rogner les ailes de cette toute jeune institution.
 
Ce texte (LOI n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022) a en effet, en son article 7, complété le dispositif d’une mesure dite « anti-abus » visant à réserver cette mesure de faveur aux acquisitions de fonds entre entreprises indépendantes, en ajoutant au texte précité l’alinéa suivant :
 
« Le présent alinéa ne s'applique pas aux fonds acquis auprès d'une entreprise liée au sens du 12 du présent article ou auprès d'une entreprise, y compris une entreprise individuelle, placée, dans les conditions définies au a du même 12, sous le contrôle de la même personne physique que l'entreprise qui acquiert le fonds. »
 
Exit, donc, l’amortissement fiscal dans les opérations de restructurations !
 
Pour être précis, on ajoutera que la mesure anti-abus exclut du dispositif de faveur deux catégories distinctes de situations, selon l’article 39, § 12 du CGI :
 
« 12. Des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises :
a-lorsque l'une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l'autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ;
b- lorsqu'elles sont placées l'une et l'autre, dans les conditions définies au a, sous le contrôle d'une même tierce entreprise.
 
Reste un point essentiel à traiter : la date d’entrée en vigueur et le sort des opérations réalisées antérieurement à la loi de finances rectificatives.
 
Concernant l’entrée en vigueur, l’article 7 de la loi du 16 aout 2022 prévoit, in fine, que la mesure anti-abus « s'applique aux acquisitions de fonds commerciaux intervenues à compter du 18 juillet 2022. »
 
Aucune disposition n’est prévue concernant les opérations réalisées entre le 1er janvier et le 17 juillet 2022.
 
Par conséquent, les fonds acquis dans le cadre d’opérations de restructurations, pendant cette période, pourront faire l’objet d’un amortissement. À condition de n’avoir pas encore clôturé leurs comptes, les acquéreurs les plus prudents - ou les plus angoissés - pourront encore renoncer à l’amortissement.
 
En guise de conclusion, on rappellera qu’en matière fiscale, l’effet de douche écossaise est particulièrement désagréable pour les citoyens, et cet amateurisme n’est pas rassurant. Serait-ce trop demander à nos gouvernants de réfléchir en amont aux mesures qu’ils promulguent ?
 








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