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La violence économique, fondement de l’annulation d’une convention d’honoraires


Rédigé par Mathilde Robert le Lundi 2 Octobre 2023

Retour sur une décision de la Cour de cassation ayant admis qu’un avocat puisse invoquer la violence économique commise à son encontre par son client l’ayant contraint à établir une convention d’honoraires à des conditions excessivement désavantageuses.



 
L’abus de dépendance économique est de plus en plus souvent invoqué par des clients qui reprochent à leur avocat d’avoir abusé de leur état de dépendance pour les contraindre à signer une convention d’honoraire à un tarif qu’ils considèrent comme excessif ou déraisonnable. Ainsi, par exemple, dans une décision de 2011, la Cour de cassation a admis que des factures d’honoraires réglées après services rendues puissent être annulées au motif qu’elles avaient été sous la contraire morale, en l’occurrence « la « crainte révérentielle » de perdre son avocat de la part d’un client se trouvant dans une passe difficile ».[[1]]. Dans une autre décision, une cliente a obtenu l'annulation d'une convention d'honoraires au motif qu’elle l’avait signée alors qu’elle était dans un état de faiblesse psychologique.[[2]]
 
Cependant, l’avocat, comme tout cocontractant, peut lui aussi invoquer le fait que son propre consentement ait été vicié par la violence pour demander la nullité d’une convention d’honoraire.
 
C’était le cas de l’espèce ici commentée. La cliente, la délégation Unedic AGS, avait mandaté un avocat pour la représentation de ses intérêts dans une importante série de dossiers concernant les salariés d'une association. En première instance, il avait été convenu d’un tarif forfaitaire fixé à 300 € par dossier pour une somme totale de 250.000 €.
 
Toutefois, la délégation Unedic AGS proposait le suivi des dossiers devant la Cour d’appel, pour une somme forfaitaire de 80.000 € TTC, considérant que « l’organisation matérielle des audiences devant la cour d’appel ne peut […] justifier des honoraires aussi élevés qu’en première instance ». L’avocat lui répondait que la somme de 300 € par dossier versée en première instance était déjà à peine suffisante au vu de la lourdeur de la gestion des dossiers confiés.
 
En réponse, la délégation lui proposait de rehausser la somme forfaitaire à 90.000 € (soit 113,2 € par dossier), ajoutant : « nous attendons que vous nous fixiez le plus rapidement sur vos intentions au regard de cette proposition afin que nous puissions le cas échéant prendre les dispositions nécessaires à la préservation des intérêts de l’AGS ». Devant cet ultimatum, par crainte de perdre l’intégralité de son chiffre d’affaires, l’avocat acceptait la proposition d’honoraires.
 
Mais il saisissait ultérieurement le Bâtonnier en vue de contester la convention d’honoraire pour abus de dépendance économique. Le juge de l’honoraire admettait cet argument et fixait à la somme de 350.000 € les honoraires d’appel. La Cour d’appel a également estimé que cette situation caractérisait une contrainte économique constituant un vice du consentement. C’est dans ce contexte que L’Unedic se pourvoyait en cassation, estimant que l’avocat ne saurait, par principe, se placer en situation de dépendance vis-à-vis de l’un de ses clients.
 
Le raisonnement du pourvoi reposait en effet sur le devoir qu’a en principe l’avocat de diversifier sa clientèle et d’éviter de travailler exclusivement pour un seul client afin de respecter concrètement le principe d’indépendance imposé par les règles déontologiques de la profession.
 
La question posée à la Cour de cassation était la suivante : l’indépendance de l’avocat, devoir déontologique, exclut-elle la possibilité de demander la nullité de la convention d’honoraire pour abus de dépendance économique à l’égard du client ? Autrement dit, l'avocat pouvait-il invoquer sa propre turpitude - le fait d'avoir un unique client ayant permis à ce dernier de lui imposer les conditions économiques de la relation - au soutien de sa demande ?
 
La Cour de cassation répond par la négative et affirme que même si l’avocat doit en principe veiller à préserver son indépendance, cela ne saurait le priver du droit dont dispose tout contractant, d’invoquer un consentement vicié par la violence. Elle confirme ainsi la nullité de la convention d’honoraires.
 
L'originalité de cet arrêt, publié au bulletin, résulte tant de l’application rare de la violence économique, que du particularisme de la convention annulée. En droit commun des contrats, la violence économique permet d’obtenir la nullité du contrat et d’éventuels dommages et intérêts, mais en l’occurrence, la nullité de la convention d’honoraires permet au juge de fixer lui-même les honoraires de l’avocat, et donc de substituer à la rémunération décidée entre les parties, une rémunération fixée par lui, sur le fondement des seuls critères de l’article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, à savoir la situation de fortune du client, la difficulté de l'affaire, les frais exposés, la notoriété de l'avocat et les diligences réalisées par celui-ci.

Cass, 2e civ., 9 déc. 2021, n° 20-10.096
 
 
[[1]] Cass. 2e civ., 3 mars 2011, n° 09-72.968
[[2]] Cass. 2 civ., 5 octobre 2006 n°04-11.179








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