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Le juge de l’honoraire est compétent pour apprécier le caractère onéreux ou gratuit du mandat confié à l’avocat


Rédigé par Philippe Touzet et Mathilde Robert le Vendredi 18 Décembre 2020

La Cour de cassation vient de rendre, dans un arrêt du 5 novembre 2020, une intéressante, et semble-t-il inédite décision, s’agissant des pouvoirs du juge de l’honoraire pour apprécier la nature du mandat donné à l’avocat par son client, en l’occurrence le caractère onéreux ou gratuit de ce dernier.



L’espèce ayant donné lieu à cette décision est assez originale. Une avocate à laquelle son époux avait confié en 2003 la défense de ses intérêts dans le cadre d’un litige successoral, présente pour la première fois, treize ans plus tard, une note d’honoraires à celui-ci, avec lequel elle est alors en instance de divorce.
 
Aucune convention d’honoraires n’avait, évidemment, été régularisée entre les époux. Cependant, on rappelle que l’avocat n’est pas privé du droit à percevoir des honoraires du seul fait de l’absence de convention, et ce même depuis que la loi « Macron » du 6 août 2015 a rendu, en principe, obligatoire la conclusion, entre l’avocat et son client, d’une convention d’honoraire écrite préalablement à toute mission.
 
En l’absence de convention d’honoraires, il revient au Bâtonnier de fixer lui-même leur montant. Il doit s’appuyer pour ce faire sur les critères de l’article 10 de la Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, à savoir : les usages, la situation de fortune du client, la difficulté de l'affaire, les frais exposés par l'avocat, sa notoriété et les diligences de celui-ci.
 
Bien qu’il dispose d’importantes latitudes pour en fixer le montant, les pouvoirs du Bâtonnier restent cependant strictement circonscrits à celui de l’évaluation de l’honoraire : en particulier il ne peut trancher les questions liées à la responsabilité professionnelle de l’avocat (qui sont de la compétence du Tribunal judiciaire), et ne peut donc réduire l’honoraire dû en tenant compte des éventuelles fautes de l’avocat dans l’exercice de sa mission.
 
On comprend mieux à l’aune de cette précision le moyen de cassation invoqué dans la présente affaire.
 
En l’espèce, l’avocate à qui son époux avait refusé de régler la note d’honoraires présentée, a saisi le Bâtonnier d’une demande de fixation d’honoraires. Ce dernier, puis le Premier président de la Cour d’appel, l’ont déboutée de toutes ses demandes, estimant que le mandat donné par son époux l’avait été à titre gratuit.
 
Devant la Cour de cassation, l’avocate soutenait que le Bâtonnier avait, ce faisant, excédé ses prérogatives en tant que juge de l’honoraire, en ce que l‘article 174 du Décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 qui attribue compétence au Bâtonnier, lui donne le pouvoir de traiter les « contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires des avocats », ce qui ne comprendrait pas, par conséquent, celui d’apprécier le caractère gratuit ou payant du mandat donné à l’avocat. On pourrait soutenir en effet que s’agissant d’une compétence dérogatoire au droit commun, elle doit s’entendre en principe de manière stricte.
 
L’argument est cependant rejeté par la Cour de cassation, en ces termes :
 
« Dès lors qu’il résulte de l’article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 que la procédure de contestation en matière d’honoraires et débours d’avocats concerne les contestations relatives au montant et au recouvrement de leurs honoraires, il relève de l’office même du juge de l’honoraire de déterminer, lorsque cela est contesté, si les prestations de l’avocat ont été fournies ou non à titre onéreux. »
 
La solution doit être saluée. Il parait en effet peu pragmatique de priver le bâtonnier de cette appréciation : cela imposerait de faire traiter d’abord la question devant un tribunal judiciaire, puis de revenir pour la fixation du quantum devant le bâtonnier.
 
Cette décision appelle deux remarques supplémentaires :
 
(i) la question de la prescription des honoraires réclamés ne s’est semble-t-il pas posée, malgré l’ancienneté des diligences effectuées ; on rappellera cependant qu’en matière d’honoraires d’avocats, le délai de prescription (2 ans à l’égard d’un particulier) court à compter de la fin de la mission. En l’espèce, le litige successoral était apparemment encore en cours au moment de l’émission de la note d’honoraires.
 
(ii) Ensuite, on peut s’étonner de ce qu’une avocate ait pu représenter son époux dans le cadre d’un tel litige. En effet, en application des principes essentiels de la profession, l'avocat doit en principe se dispenser d'intervenir lorsque son indépendance risque de ne pas être entière, ce qui risque d’être le cas dans l’hypothèse de la représentation en justice d’un membre de sa famille.
 
Au-delà des injonctions déontologiques, il est parfois sage pour un avocat de s’abstenir ...
 
Cass. Civ. 2eme, 5 novembre 2020, pourvoi n° 19-20.31








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