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Dans les structures d’exercice à forme commerciale, les règles du code de commerce priment sur les dispositions du RIBP


Rédigé par Raphaël Tiwang-Watio le Mardi 16 Janvier 2024

S’il est admis que les dispositions du Règlement Intérieur National (RIN) de la profession d’avocat ont la valeur règlementaire d’un décret, il n’en va pas de même des dispositions propres au Règlement Intérieur du Barreau de Paris (RIBP).

En effet, le 12 avril 2023, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt qui a un double intérêt : d’une part, il confirme le rang des dispositions propres au RIBP dans la hiérarchie des normes juridiques ; et d’autre part, il limite l’étendue du droit à l’information d’un associé prévu par le RIBP aux contours définis par les dispositions du code de commerce.



D’emblée, il convient de rappeler que l’article 17 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques confère au conseil de l’ordre, sous réserve des attributions du Conseil National des Barreaux (CNB), le pouvoir de traiter toutes questions intéressant l’exercice de la profession et de veiller à l’observation des devoirs des avocats ainsi qu’à la protection de leurs droits. A cet effet, le même texte précise en son paragraphe 1° que le conseil de l’ordre a notamment pour attributions « D’arrêter et, s’il y a lieu, de modifier les dispositions du règlement intérieur. ».
 
C’est sur ce fondement que le conseil de l’ordre des avocats au barreau de Paris arrête et modifie le RIBP.
 
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 avril 2023 susvisé, un associé d’une SELARL inscrite au barreau de Paris a demandé au Bâtonnier de condamner la SELARL à lui communiquer le grand livre de la société pour les exercices 2017 à 2021, des factures et une convention d’association conclue entre la SELARL et un cabinet étranger. Cette demande d’information était basée sur l’article P.46.2 (deuxième alinéa) du RIBP intitulé « Information au sein de la structure », qui dispose que : « Chaque membre d'une structure peut, à toute époque, prendre connaissance et prendre copie par lui-même de tous documents relatifs à la structure. ». La SELARL s’est opposée à cette demande, en invoquant les articles L.223-26[[1]] et R.223-15[[2]] du Code de commerce, et le principe de la hiérarchie des normes juridiques. En effet, ces dispositions applicables aux SELARL dressent une liste des documents à communiquer aux associés, dont ne font pas partie les documents sollicités en l’espèce.
 
Le 19 juillet 2021, le Bâtonnier a fait droit à la demande de communication de pièces formulée par l’associé, en considérant que l’article P.46.2 du RIBP devait s’appliquer en vertu de l’adage « Specialia generalibus derogant » (qui signifie que les dispositions spéciales dérogent aux dispositions générales) visé à l’article 1105 du Code civil[[3]].
 
La SELARL a relevé appel de la décision du Bâtonnier. A l’appui de son recours, la SELARL a fait valoir qu’elle est une société commerciale par la forme et à ce titre elle est soumise aux dispositions légales et règlementaires du Code de commerce, notamment les articles L.223-26 et R.223-15. La SELARL a invoqué le principe de la hiérarchie des normes juridiques en exposant que les articles L.223-26 et R.223-15 relèvent respectivement du bloc législatif et du bloc règlementaire et devraient primer sur l’article P.46.2 du RIBP qui relèverait quant à lui du bloc contractuel.
 
L’intimé a, pour sa part, demandé la confirmation de la décision du Bâtonnier en exposant que le RIBP a valeur règlementaire et ne relève pas du bloc contractuel. Il a rappelé que le conseil de l’ordre tient de l’article 17 de la loi de 1971 sa compétence pour arrêter les dispositions du RIBP. Il a enfin soutenu que c’est à bon droit que le Bâtonnier avait considéré que l’article P.46.2 du RIBP est une règle spéciale qui n’est pas en contradiction avec les articles L.223-26 et R.223-15 du Code de commerce, mais se cumule avec ceux-ci.
 
Dans sa décision du 12 avril 2023, la Cour d’appel de Paris a d’abord rappelé que : « La maxime dont le bâtonnier a fait application n’a vocation à trancher que des conflits de normes de même valeur au sein de la hiérarchie des normes. ».
 
Au visa de l’article 21-1 de la loi de 1971, la Cour a ensuite indiqué que la décision du CNB à caractère normatif n°2005-0003 portant adoption du RIN a été prise « Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur ».
 
Poursuivant sa motivation, la Cour a souligné que le RIBP comporte des dispositions propres au barreau de Paris, indépendantes du RIN, et qui résultent d’une délibération du conseil de l’ordre.
 
La Cour a alors réaffirmé que : « L’autonomie reconnue aux conseils de l’ordre et leur pouvoir règlementaire signifient qu’ils peuvent, dans leurs règlements intérieurs, prévoir toutes dispositions dès lors que celles-ci, en application du principe de la hiérarchie des normes, ne viennent heurter aucune disposition d’une valeur supérieure. Ainsi, le RIBP doit respecter les règles posées par le règlement intérieur national, les décrets et les lois. ».
 
Après avoir constaté que l’article P.46.2 sur la base duquel l’associé sollicitait la communication des pièces fait partie des dispositions propres au RIBP et non prévues dans le RIN, la Cour d’appel a jugé que cet article « n’a pas la même valeur normative que les articles L.223-23 et R.223-15 du code de commerce ».
 
Vidant sa saisine, la Cour a infirmé la décision rendue par le Bâtonnier en ces termes :
 
« Ces derniers textes, issus de la loi et du règlement, qui fixent de manière limitative les documents devant être communiqués aux associés d’une société à responsabilité limitée, ne prévoient pas que ceux-ci puissent obtenir communication des grands livres, de factures et d’une convention, indépendamment pour celle-ci du rapport soumis aux assemblées dans lequel elle doit figurer.
 
Il s’en déduit que M. X ne peut pas obtenir communication des documents qu’il sollicite, de sorte qu’il sera débouté de l’intégralité de ses demandes, en infirmation de la décision. ».
 
Ainsi, dans la hiérarchie des normes juridiques, les règles du code de commerce applicables aux structures d’exercice à forme commerciale ont une valeur supérieure à celles du RIBP.
 
Il convient de souligner que par le passé, la Cour d’appel de Paris avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur le rang inférieur des dispositions du RIBP dans la pyramide des normes juridiques.
 
En effet, dans un précédent arrêt rendu le 21 février 2012, la Cour avait affirmé que : « (…) toutes les règles définies par le Conseil de l’Ordre du Barreau de Paris, dans le cadre des prérogatives qui lui sont conférées par l’article 17 de la loi du 31 décembre 1971 ainsi que les avis déontologiques rendus, qui n’ont pas à eux seuls de caractère contraignant s’ils ne sont pas suivis de procédure disciplinaire, ne constituent que des recommandations (…) » (CA Paris, pôle 2, chambre 1, 21 février 2012, n°10/15837).
 
Dans un autre arrêt rendu le 24 mai 2018, la Cour d’appel de Paris avait formulé l’obiter dictum suivant :
 
« Considérant que l'autonomie reconnue aux conseils de l'ordre et leur pouvoir réglementaire ne signifient pas qu'ils peuvent à leur guise instituer les règles de leur choix mais seulement qu'ils peuvent, dans leurs règlements intérieurs, prévoir toutes dispositions dès lors que celles-ci, en application du principe de la hiérarchie des normes, ne viennent heurter aucune disposition d'une valeur supérieure ;
 
Considérant ainsi que le règlement intérieur doit respecter les règles posées par le règlement intérieur national (RIN), le décret et la loi ; » (CA Paris, pôle, chambre 1, 24 mai 2018, n°17/21643).
 
L’arrêt rendu le 12 avril 2023 vient donc confirmer la position antérieure de la Cour d’appel selon laquelle le RIBP doit respecter les normes supérieures. Cette position, dans son principe, n’est d’ailleurs ni surprenante, ni choquante.
 

 
 
[[1]] Ce texte dispose que :
 
« Le rapport de gestion, l'inventaire et les comptes annuels établis par les gérants, sont soumis à l'approbation des associés réunis en assemblée, dans le délai de six mois à compter de la clôture de l'exercice sous réserve de prolongation de ce délai par décision de justice. (…).
 
Les documents visés à l'alinéa précédent, le texte des résolutions proposées ainsi que le cas échéant, le rapport des commissaires aux comptes, les comptes consolidés et le rapport sur la gestion du groupe sont communiqués aux associés dans les conditions et délais déterminés par décret en Conseil d'Etat. Toute délibération, prise en violation des dispositions du présent alinéa et du décret pris pour son application, peut être annulée.
 
(…)
 
L'associé peut, en outre, et à toute époque, obtenir communication, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, des documents sociaux déterminés par ledit décret et concernant les trois derniers exercices.
 
Toute clause contraire aux dispositions du présent article et du décret pris pour son application, est réputée non écrite.
 
Le I de l'article L.225-100-1 s'applique au rapport de gestion. Le cas échéant, le II de l'article L. 225-100-1 s'applique au rapport consolidé de gestion. ».

 
[[2]] Ce texte dispose que :
 
« Tout associé a le droit, à toute époque, de prendre par lui-même connaissance des documents suivants au siège social : bilans, comptes de résultats, annexes, inventaires, rapports soumis aux assemblées et procès-verbaux de ces assemblées concernant les trois derniers exercices. Sauf en ce qui concerne l'inventaire, le droit de prendre connaissance emporte celui de prendre copie.
 
A cette fin, il peut se faire assister d'un expert inscrit sur une des listes établies par les cours et tribunaux. ».
 
[[3]] Ce texte dispose que :
 
« Les contrats, qu'ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l'objet du présent sous-titre.
 
Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d'eux.
 
Les règles générales s'appliquent sous réserve de ces règles particulières. ».
 

CA Paris, pôle 4, chambre 13, 12 avril 2023, n°21/14718








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