Le créancier ne peut pas invoquer la force majeure


Rédigé par Justine Touzet le Mardi 22 Décembre 2020

Dans un arrêt du 25 novembre 2020, décrit comme « remarqué et remarquable », la Cour de cassation répond par la négative à la question de savoir si le créancier peut invoquer la force majeure quand il ne peut pas profiter de la prestation convenue.



Un couple marié achète un séjour dans un hôtel pour la période du 30 septembre 2017 au 22 octobre 2017 pour un montant total de 926,60 euros, payé le 30 septembre 2017.
 
Le 4 octobre, le mari est hospitalisé en urgence. Son épouse doit alors mettre un terme au séjour. Les époux assignent ensuite la société Chaîne thermale du soleil (la société) en invoquant un évènement de force majeur qui les aurait empêchés de profiter dudit séjour.
 
Le Tribunal d’instance de Manosque reconnait la force majeure et la résiliation du contrat dans un jugement du 27 mai 2019 rendu en dernier ressort : « M. X… a été victime d’un problème de santé imprévisible et irrésistible et que Mme X… a dû l’accompagner en raison de son transfert à plus de cent trente kilomètres de l’établissement de la société, rendant impossible la poursuite de l’exécution du contrat d’hébergement ».
 
La société se pourvoit en cassation en soutenant que, conformément à l’article 1218 du Code civil, la force majeure ne peut être invoquée que si elle empêche l’exécution de sa propre obligation : or, les difficultés de santé de M. X ne l’empêchaient pas d'exécuter son obligation (de payer) mais de bénéficier de la prestation dont il était créancier.
 
En effet, l’alinéa 1 de l’article 1218 du Code civil prévoit « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ».
 
Dans l’arrêt du 25 novembre 2020, la Cour de cassation interprète cet article à la lettre en considérant qu’il résulte de ce texte « que le créancier qui n’a pu profiter de la prestation à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat en invoquant la force majeure ».
 
La Cour casse donc le jugement du Tribunal de Manosque jugeant qu’« il résultait de ses constatations que M. et Mme X... avaient exécuté leur obligation en s’acquittant du prix du séjour, et qu’ils avaient seulement été empêchés de profiter de la prestation dont ils étaient créanciers ».
 
Ce faisant, elle choisit de ne pas suivre l’importante position doctrinale militant pour la reconnaissance du droit pour le créancier d’invoquer la force majeure notamment dans le cas où il ne peut pas recevoir la prestation mais aussi lorsqu’il a été déchu de ses droits pour n'avoir pas accompli un devoir qui lui incombait[[1]].
 
Cette solution vient également compléter la jurisprudence récente de la Cour de cassation sur la force majeure selon laquelle « le débiteur d'une obligation contractuelle non remplie de payer une somme d'argent ne peut être dispensé en invoquant un cas de force majeure »[[2]].
 
Cet arrêt venait déjà contredire l’ancienne jurisprudence de la Cour de cassation qui avait qualifié la maladie d'un élève de cas de force majeure justifiant le non-paiement du reste de ses frais de scolarité[[3]]. Certains auteurs avaient justifié cette solution en estimant que « la force majeure pourrait être invoquée par le créancier placé dans l'impossibilité de tirer profit de la prestation à laquelle il avait droit, afin de se libérer de l'obligation monétaire à laquelle il était tenu en contrepartie »[[4]].
 
Force est de constater que l’arrêt du 25 novembre 2020 met fin à cette tentation.
 
Le texte de l’article 1218 du Code civil, strictement observé par la Cour de cassation, créé un déséquilibre entre débiteur et créancier qu’il sera difficile de régler dans les relations synallagmatiques, lorsque chaque partie au contrat est à la fois débiteur et créancier. La Cour de cassation devra nécessairement vérifier si le juge du fond s’est suffisamment plongé dans les détails de chaque contrat afin de déterminer avec précision quelles parties et quelles obligations peuvent bénéficier de la force majeure.
 
La doctrine anticipe déjà des difficultés devant le nombre de demandes attendues dans le contexte de l’épidémie de Covid-19[[5]].
 
[[1]] Grimaldi, La force majeure invoquée par le créancier dans l'impossibilité d'exercer son droit, D. 2009. 1298.
[[2]] Cour de cassation, 16 septembre 2014, n ° 13¬20306.
[[3]] Cour de cassation, 1re civ., 10 février 1998, n° 96-13.316
[[4]] Jérôme François, Force majeure et exécution d'une obligation monétaire, Recueil Dalloz 2014 p.2217 ; Grimaldi, La force majeure invoquée par le créancier dans l'impossibilité d'exercer son droit, D. 2009. 1298.
[[5]] Cyril Grimaldi, Quelle jurisprudence demain pour l'épidémie de Covid-19 en droit des contrats ?, Recueil Dalloz 2020 p.827.


Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 novembre 2020, 19-21.060







Dans la même rubrique :