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Transposition de la directive européenne « damages » (un régime inédit de réparation des dommages causés par une pratique anticoncurrentielle) - La charge de la preuve


Rédigé par Tommaso Cigaina le Jeudi 18 Mai 2017

Par une ordonnance (n°2017-303) et un décret d’application (n°2017-305) du 9 mars 2017, parus au JO le lendemain, le législateur français vient de transposer la directive européenne n°2014/104, dite « damages », du 26 novembre 2014. Nous traitons ici de l’importante question de la charge de la preuve.



Plusieurs dispositions régissent la démarche probatoire de la victime, qui bénéficie de certaines présomptions et inversions de la charge de la preuve, tant en ce qui concerne le fait générateur (c’est-à-dire l’existence et l’imputabilité de la pratique prohibée à son auteur), que le préjudice.
 
S’agissant du fait générateur, l’article L.481-2 du Code de commerce dispose que si l’existence d’une pratique anticoncurrentielle et l’imputation à son auteur ont été constatées par une juridiction nationale ou par l’Autorité de la concurrence, par une décision qui ne peut plus faire l’objet d’un recours ordinaire, la victime bénéficiera d’une présomption irréfragable et n’aura pas à démontrer ces éléments dans le cadre de son action indemnitaire.
 
La même solution n’est pas retenue, cependant, s’agissant des décisions rendues par les juridictions et les autorités de la concurrence d’un autre Etat membre de l’UE. Ces décisions, selon la même disposition, constituent simplement « un moyen de preuve de la commission de cette pratique ». La juridiction saisie du recours indemnitaire, appréciera donc la portée de ces décisions à la lumière des autres éléments de preuve apportés par les parties.
 
Il est précisé, enfin, que la juridiction saisie de l’action en dommages et intérêts ne peut pas prendre une décision qui irait à l’encontre d’une décision définitive adoptée par la Commission européenne
 
Ces dispositions ont donc pour objectif de permettre aux victimes d’invoquer la décision, relative au constat de l’existence et de l’imputation de la pratique interdite, sans avoir à attendre l’issue d’un éventuel recours qui porterait uniquement sur le montant de la sanction prononcée à l’encontre de l’auteur de la pratique. Concomitamment, ces dispositions constituent un frein pour une action immédiate de la victime, celle-ci ayant peu d’intérêt à agir avant de connaître l’issue de la procédure publique, tout en renonçant aux présomptions qui lui sont offertes par le législateur.
 
Quant à la preuve du préjudice subi par la victime, l’article L.481-4 prévoit que l’acheteur direct ou indirect de biens ou de services auprès de l’auteur de la pratique prohibée, est réputé n’avoir pas répercuté le surcoût causé par ladite pratique sur ces contractants directs. Cette présomption constitue, comme le souligne le rapport au Président de la République, une rupture avec la jurisprudence de la Cour de cassation qui exigeait que cette preuve soit apportée par la victime.
 
Désormais, il appartient à l’auteur de la pratique d’apporter la preuve contraire, étant rappelé que la répercussion du surcoût par la victime sur ses partenaires en aval de la chaîne économique exclut la possibilité de son indemnisation.
 
S’agissant de ces derniers, lorsqu’ils prétendent avoir subi l’application ou la répercussion d’un surcoût, ils doivent en prouver l’existence ou l’ampleur dans les conditions posées par l’article L.481-5. Selon cette disposition, la preuve est réputée apportée si le demandeur justifie que « 1° Le défendeur a commis une pratique anticoncurrentielle mentionnée à l'article L.481-1 », que « 2° Cette pratique a entraîné un surcoût pour le contractant direct du défendeur » et que « 3° Il a acheté des biens ou utilisé des services concernés par la pratique anticoncurrentielle, ou acheté des biens ou utilisé des services dérivés de ces derniers ou les contenant ». La preuve contraire pourra néanmoins être apportée par l’auteur de la pratique interdite, en démontrant l’absence de répercussion du surcoût, ou que celui-ci n’a été répercuté que partiellement sur le demandeur.
 
Une dernière présomption, prévue à l’article L.481-7, bénéficie à la victime d’une entente entre concurrents : il est présumé jusqu’à preuve du contraire que ces ententes causent un préjudice. A cet égard, si le Code de commerce ne fournit pas de précisions quant à la nature de ce préjudice, la lecture de la directive permet de comprendre qu’est désigné un effet sur les prix, causé par la perturbation du fonctionnement du marché suite à la mise en œuvre d’une entente illicite. 








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